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l’émotion religieuse, et que, du reste, en peinture comme en littérature, « tous les genres sont bons, hors le genre ennuyeux ». Une autre fois l’entretien des deux amis porte sur la vie des saints, et Brentano décrit à Steinle, avec une abondance extraordinaire de détails pittoresques, d’après les visions de la bienheureuse Catherine Emmerich, le martyre de sainte Ursule et de ses compagnes. Une autre fois, il lui parle de métaphysique, ou de politique, ou d’histoire, et il n’y a pas un de ces sujets qui ne lui soit une occasion de montrer sous quelque aspect imprévu la variété, la hardiesse, la vigueur souriante de son noble esprit.


Mais, pour intéressantes que soient ses lettres, combien celles d’Overbeck nous touchent plus encore ! Celui-là est, lui aussi, un méconnu. On a pris l’habitude, depuis cinquante ans, de rire de lui ; et le fait est que peu de peintres prêtent davantage à la moquerie. Son Triomphe de la Religion dans les Arts, en particulier, est vraiment d’un symbolisme par trop enfantin, sans compter l’extraordinaire placard explicatif qu’il a cru devoir y adjoindre. C’est d’ailleurs une détestable peinture, et la plupart des grandes compositions d’Overbeck ne valent guère mieux. Non seulement la couleur y déplaît aux yeux, mais on y sent toujours le manque complet de métier, l’inexpérience, la gaucherie de l’homme qui s’est refusé toute sa vie à étudier la nature. « Rien au monde, écrivait-il à son père, ne me contraindra à travailler d’après le modèle vivant. J’aime mieux connaître un peu moins mon art, et garder intacte la pureté de cœur qui convient au chrétien. » Et l’on comprend que cette ignorance de son art l’ait exposé au dédain de ses confrères et de la critique, dans un temps où la maîtrise du « métier » était tenue pour une des conditions de toute beauté. Mais aujourd’hui, où le métier, hélas ! a beaucoup perdu de son importance, aujourd’hui où les peintres n’ont plus le temps de l’apprendre, ni le public le temps de l’apprécier, peut-être quelqu’un devrait-il réviser le procès du maître nazaréen. Il découvrirait, je crois, et nous ferait voir, sous ce mauvais peintre, un très noble et très délicat poète, incomparable pour traduire, en groupes harmonieux de lignes, des sentimens religieux d’une douceur infinie. Il retrouverait ce poète jusque dans les grandes peintures d’Overbeck, jusque dans le Triomphe de la Religion : mais c’est surtout dans ses dessins qu’il l’aurait tout entier, dans les cartons du musée de Francfort, dans les charmantes esquisses des musées de Berlin et de Bâle. La piété s’y relève même d’une certaine beauté formelle, et ni le Pérugin, ni le Pinturicchio, ni les premiers peintres de Cologne n’ont