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toujours de lui, il ne l’exerce pas directement, il le délègue à des magistrats qui le représentent. Pour définir la manière dont ce gouvernement fonctionne, Mommsen a trouvé une formule qui est justement le contraire de celle dont on se sert dans les monarchies constitutionnelles : « A Rome, dit-il, le peuple règne et ne gouverne pas. »

Le magistrat auquel il délègue son autorité, roi ou consul, la possède entière, ou, comme on disait à Rome, il a l’imperium. Je ne crois pas que jamais, en aucun lieu, on se soit fait du pouvoir souverain une idée plus haute, plus grande, plus sainte. La maladie ordinaire des peuples libres est de ne pas savoir obéir : celui-là semble éprouver d’abord le besoin d’être commandé. Son premier souci, quand il se produit quelques-uns de ces changemens qu’il est bien difficile d’éviter dans les États les mieux ordonnés, c’est que l’autorité en souffre aussi peu que possible, ou qu’en tout cas, elle ne paraisse pas en souffrir : sauver les apparences a toujours été une des principales préoccupations des Romains. Le consul, qui remplace les rois, ne doit rester en fonction qu’un an, ce qui risque de lui faire perdre de son importance ; on veut au moins que, l’année finie, il paraisse se retirer volontairement et transmettre de son plein gré sa charge à son successeur ; on pense que cet air d’abdication conserve à l’autorité son prestige. Plus tard, quand, sous la poussée de la démocratie, le nombre des magistratures inférieures fut augmenté, ce ne pouvait être qu’au détriment de la magistrature suprême : en la morcelant, on l’affaiblissait. Aussi quelques bons esprits craignirent-ils qu’elle ne fût plus capable de résister à ces crises violentes qui ne cèdent que devant un pouvoir fort et concentré : ils firent donc créer la dictature, qui suspendait pour quelque temps toutes les autres fonctions et réunissait l’autorité entière dans la main d’un homme. Aucune institution n’a rendu aux Romains plus de services, et des services plus inattendus. La dictature a un mauvais renom dans les républiques et on la regarde comme fatale à la liberté ; à Rome, au contraire, elle lui a été très utile. Les Romains lui doivent d’avoir évité un des plus grands périls qu’un peuple libre puisse courir. C’est l’instinct de la foule, dans les dangers