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le grand artiste maître de tous les contrastes. Elle ferait mieux qu’un sermon surgir dans les cœurs les moins préparés à l’émotion religieuse le sentiment de la Providence.

Rien de ce qui suit ne peut être comparé, bien entendu, à ce point culminant du voyage. Il me reste encore le souvenir du vol argenté des mouettes qui passe, se perd, se fond avec une telle douceur dans le gris des nuages, celui des jeux d’un couple de marsouins qui folâtrent dans une de ces anses échelonnées jusqu’à Tadoussac, quelques-unes capables de recevoir les gros vaisseaux de l’Océan. C’est le capitaine qui me signale les baleines blanches, et je lui sais gré de leur donner ce nom. Il m’explique aussi que la chaude coloration d’un jaune rouge que je remarque à fleur d’eau en bas des rochers est une barre ferrugineuse. Je croyais à du marbre, ayant entendu parler du fameux banc de marbre blanc aux environs de Tadoussac. Ce large ourlet en saillie indique l’existence du trapp, sur lequel je me tairai prudemment d’ailleurs, ainsi que sur le granit syénitique des montagnes qui bordent le Saguenay, quoique vraiment il soit facile, même aux ignorans, de comprendre à première vue la géologie de ces régions ; granit, gneiss, calcaire primitif se montrent partout à découvert. Le gneiss, traversé par de nombreux filons métallifères, domine autour de Tadoussac. Cette belle couleur rougeâtre, tranchant sur la marge de glace, colore une longue étendue de la côte et se fait particulièrement remarquer à l’endroit nommé la Boule, dernière falaise importante avant Tadoussac.

Nous nous attardons devant la petite cascade et le quai encombré de marchandises de l’anse Saint-Jean, où, de même qu’à l’embouchure de la rivière Sainte-Marguerite, l’agriculture est en train de faire des progrès.

A Saint-Étienne, les collines de sable forment des espèces de gradins superposés semblables à des dunes ; beaucoup d’ouvriers sont au travail autour des chantiers considérables de l’éternel M. Price, partout présent. J’interroge le capitaine sur l’heure de notre arrivée à Tadoussac. Le désir d’aller y saluer la plus ancienne de toutes les chapelles du Canada me tient très fort, mais aussi la crainte que le bateau ne reparte avant que j’aie achevé mon pèlerinage, me laissant sur cette plage, réduite à l’état de Robinson.

— Vous aurez le temps, me dit le capitaine, après avoir interrogé sa montre, mais tout juste.