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l’organisation corporative qui existe légalement en Angleterre depuis 1870 ; c’est la suppression de tous ces conseils d’arbitrage et de conciliation, de tous ces comités mixtes, Joint Boards, Joint committees, qui règlent si heureusement par l’accord des parties les conditions du contrat de louage d’ouvrage en Angleterre, et il ne faut pas s’étonner si les Unions ainsi provoquées ont pris fait et cause pour les mécaniciens et les ont soutenus jusqu’à la dernière extrémité. Elles ont eu pour elles l’opinion publique, la presse presque tout entière, et le manifeste rédigé par un groupe de professeurs d’Oxford est un symptôme caractéristique. Après vingt-neuf semaines de lutte, la grève s’est terminée par une sorte de transaction : les ouvriers ont renoncé à la journée de huit heures et les patrons ont déclaré qu’ils désavouaient toute tentative contre l’organisation des Trade-Unions. De part et d’autre, le résultat est donc à peu près nul, mais les pertes sont considérables. En dépit des souscriptions venues de tous côtés, l’Union des mécaniciens, qui dans les derniers temps, dépensait près d’un million par semaine pour le « salaire de grève », a épuisé en partie ses réserves : d’autre part, ce chômage prolongé a été un immense désastre pour l’industrie anglaise et a entraîné des pertes incalculables. Quoique tout se soit passé dans l’ordre le plus parfait et que la tranquillité publique n’ait pas été un seul instant troublée, on comprend quelles inquiétudes et quelles souffrances, entraînent de semblables conflits et combien il est désirable pour l’Angleterre que la trêve se change en une paix durable.

Par une coïncidence singulière, le 20 juillet, au début même de la crise, disparaissait l’homme qui avait été le pacificateur du monde du travail et qui, par l’organisation des conseils d’arbitrage et de conciliation, semblait avoir rendu impossible le retour de pareils conflits. En voyant l’œuvre de Mundella menacée d’être détruite, les Anglais ont mieux compris quelle place immense ces institutions occupent dans la société moderne, et cette mort a pris les proportions d’un véritable malheur public. La Revue des Deux Mondes avait été, je crois, la première à faire connaître en France la création des conseils d’arbitrage[1], et il m’a semblé intéressant d’étudier aujourd’hui l’œuvre et la vie de cet homme qui pendant un demi-siècle a exercé sur la démocratie anglaise

  1. Voyez les articles de M. E. d’Eichthal, dans la Revue des 15 juin 1871 et 1er mars 1872.