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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/618

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badauds et des femmes », une heure où il voulut se conquérir un prestige d’un meilleur aloi : « Elle ne me suffit plus, ma gloire, écrivait-il en 1869 à M. Francisque Sarcey… J’avoue que les articles nécrologiques que l’on me consacrerait demain, si je mourais tout à coup, et les anecdotes que l’on recueillerait sur mon compte, et mes jolis mots d’esprit qu’on retrouverait, j’avoue que tout cela ne fait plus l’ambition de ma vie. Je trouve que je suis assez célèbre, assez connu, assez aimé, assez admiré, assez chronique, assez exploité, assez photographié comme ça. » Pour qu’il proclamât, avec cette netteté d’expression, le dédain de ses premiers triomphes, on doit croire que la satiété en était chez lui bien profonde et bien lointaine, — beaucoup plus lointaine que la soirée du 5 mars 1864. Il souffrit évidemment de l’accueil fait à l’Ami des femmes ; mais la représentation se fût-elle terminée par des acclamations d’enthousiasme unanime, son état d’esprit n’en aurait été modifié en rien, et ses ambitions n’en eussent pas moins continué à se détourner d’objets qui ne l’intéressaient plus.

Et puis, en même temps que son amertume contre la sottise de ses contemporains et que la lassitude de la notoriété bruyante, une question d’ordre esthétique, presque une question de métier, l’incitait au revirement par où fut close la seconde période de sa carrière. Ses préoccupations de moraliste ne lui ont jamais fait oublier ni dédaigner la technique de son art ; et toute occasion lui fut toujours bonne, dans ses préfaces ou dans ses brochures, pour professer quelques leçons de dramaturgie, où se révèle un soin minutieux des plus infimes détails, et un souci constant des conditions qu’exige le maniement des foules au théâtre. Lui, qui se piquait habituellement, en ce qui concernait les idées, de ne pas reculer devant les audaces les plus révolutionnaires, il n’a osé qu’avec une circonspection infinie les plus minces innovations scéniques ; il s’efforçait au moins d’en atténuer les rudesses, et posait en principe qu’on ne doit pas heurter de front les préjugés d’une salle de spectacle : « Il faut que ce que nous avons de sérieux à dire paraisse plus amusant que ce qui amuse d’ordinaire. Vouloir modifier le public, autant essayer de dessaler la mer. » Or, son instinct l’avertit assez vite « de la déconsidération où la littérature dramatique tombait à force de refaire toujours la même chose et de rapiécer éternellement la même étoffe ». Les virtuosités des vaudevilles de Scribe, dont la vogue a fini par transformer la grande comédie même en un laborieux jeu d’esprit, et