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qu’on lui met sous les yeux. Si bien que Paméla, pour réussir complètement, aurait dû être précédée d’une campagne de presse et de conférences qui eût persuadé le public de la vérité ou de l’extrême vraisemblance de ce que l’auteur prétendait, si j’ose dire, lui faire avaler. Est-ce que je me trompe ?…

Mais ce n’est pas tout. Ce qui, dans Paméla, tient la plus grande place, ce n’est pas Louis XVII et son martyre (et j’avoue que ce spectacle, trop prolongé, de souffrances surtout physiques eût été vite intolérable), et ce ne sont pas non plus les personnes et les sentimens des conjurés : c’est la conspiration elle-même, vue par l’extérieur. Et les détails matériels, les épisodes et les péripéties de cette conspiration sont tels, qu’ils conviendraient presque tous à n’importe quelle autre conspiration où il s’agirait d’enlever un prisonnier politique. Toutes les scènes de l’atelier de menuiserie, de la fête chez Barras et du souterrain pourraient servir, très peu modifiées, pour d’autres pièces. On est amusé par les faits et gestes des conjurés, indépendamment de ce qu’ils pensent et de l’objet qu’ils poursuivent : et, dès lors, on est seulement amusé, rien de plus, et encore assez doucement. C’est comme qui dirait la conspiration « en soi », la conspiration « passe-partout ».

On est un peu déçu. Car on s’attendait à quelque drame du devoir et de la passion ; on se figurait que l’essentiel de cette histoire, ce serait la lutte entre la sensible Paméla et son amant républicain. Mais cette lutte n’est qu’indiquée. Deux fois, chez Barras et au Temple, Paméla et Bergerin se trouvent en présence et font mine de s’expliquer. La rencontre pouvait être belle de ces deux amans, divisés entre eux et divisés contre eux-mêmes par des sentimens très vrais, très humains, très forts et peut-être également généreux. Bergerin pouvait aller beaucoup plus loin dans ce qu’il croit son devoir, être décidément romain et cornélien. et tous deux (mais peut-être n’eût-il pas été mauvais de nous convaincre davantage de la grandeur de leur amour mutuel) pouvaient avoir de beaux déchiremens — et de beaux cris. Paméla en a quelques-uns, mais surtout des mots de théâtre, comme lorsqu’elle convie les femmes « au 14 juillet des mères ». Et Bergerin n’est qu’un Brutus de carton. Le mouvement du petit prince qui l’embrasse dans son demi-sommeil est une trouvaille charmante : mais les fureurs qui cèdent à ce baiser d’enfant étaient étrangement pâles et modérées, et le petit prince avait trop beau jeu.

Ces deux rencontres de Bergerin et de Paméla, on dirait que M. Sardou les traite avec une sorte de négligence et d’ennui, et qu’elles