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la Constitution, disent les premiers, rien n’est possible, et les seconds assurent que la révision de la Constitution ne servirait à rien sans la réforme du règlement de la Chambre. Peut-être se trompent-ils les uns et les autres. On aura beau réviser la Constitution ou changer le règlement, si les mœurs politiques et parlementaires restent ce qu’elles sont aujourd’hui, un texte en aura remplacé un autre, et rien de plus. Le mal n’est pas dans les textes, il n’est même pas dans les choses, il est dans les hommes : et c’est pour cela qu’il est si difficile à guérir.

Il serait pourtant injuste de dire que rien n’a été fait, dans ces derniers temps, pour préparer cette guérison. Une grande partie du mal dont nous sommes affligés vient de la promiscuité que les habitudes ou les besoins d’une lutte soutenue en commun ont introduite, à l’origine, dans les rangs du parti républicain. C’est ce qu’on a appelé la concentration. Elle a toujours des partisans, et peut-être un des plus convaincus de sa nécessité est-il celui qui l’a rompue, nous voulons dire M. Léon Bourgeois. Il a fait le premier ministère homogène, mais tout le monde sait qu’il ne l’a pas fait exprès. Après lui est venu M. Méline qui, lui aussi, dans le passé, n’avait pas été l’adversaire de la concentration, et qui s’est pourtant trouvé obligé de faire un ministère franchement modéré, à l’exclusion de tous les élémens qui auraient eu un caractère radical trop accentué. La force des choses s’est imposée aux uns et aux autres. La vie politique y a gagné dans le pays. On a vu se dessiner deux partis politiques ayant des programmes distincts et des aspirations différentes. Pour la première fois, le suffrage universel va être appelé à se prononcer entre ces programmes et ces aspirations. Il aura à choisir entre des socialistes, des radicaux, des modérés, et, quoi qu’on essaye de faire dans l’avenir, il restera quelque chose de cette division que, pour notre compte, nous jugeons salutaire, parce qu’elle met enfin un peu de clarté là où il n’y avait qu’obscurité et confusion. Il est permis d’espérer, — et c’est par-là que nos mœurs générales pourront s’améliorer, — que les questions de personnes ne seront plus tout, et que les questions de principes reprendront la place qu’elles auraient toujours dû occuper. On a vu, il y a deux ans, les radicaux et les socialistes s’entendre pour soutenir un même ministère ; on a vu depuis, par une conséquence nécessaire, toutes les fractions du parti modéré se mettre d’accord pour atteindre un but analogue. Il en est résulté des classifications qui sont destinées à prendre de plus en plus un caractère permanent. Elles pourront encore s’obscurcir et se mêler, mais jamais aussi complètement