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grossière, et qu’elle usait du maximum de vexations pour réaliser le minimum de rendement. Les radicaux commenceraient-ils eux-mêmes à reconnaître l’exactitude de ce jugement ? On pourrait le croire d’après les derniers discours de M. Bourgeois, surtout d’après celui qu’il a consacré à M. Deschanel. M. Deschanel avait pris la parole au banquet du commerce et de l’industrie. Il ne s’était pas montré opposé à un certain nombre de réformes. Il n’avait même pas reculé devant l’impôt sur le revenu, à la condition qu’on s’entendît sur le caractère à lui donner. Il avait déploré que les radicaux eussent posé la question sur les procédés à employer pour constater le revenu, et en eussent proposé d’inadmissibles. — Mais nous sommes d’accord ! s’est écrié M. Bourgeois. — Nous ne demandons pas mieux que de le croire ; seulement, c’est M. Bourgeois qui a changé. Il n’est plus tout à fait ce qu’il était en sortant des mains de M. Doumer. Il se trompe, d’ailleurs ; il n’est pas encore d’accord avec M. Deschanel ; mais, s’il fait encore dans les six mois prochains autant de progrès que dans les six mois passés, assurément l’écart sera diminué.

C’est ce dont le gros public ne se doute guère, parce que le gros public se paie volontiers de mots. Les radicaux employant toujours celui d’impôt sur le revenu, il croit qu’il est toujours question de la même chose. Et, au fond des campagnes, en passant par la bouche des orateurs de village, ce mot a pris un sens tout particulier, à savoir la suppression prochaine de tout impôt direct pour les pauvres, ou même pour ceux qui n’ont pas une certaine aisance : les riches devront tout payer. C’est ainsi que l’impôt sur le revenu se présente à l’imagination de nos paysans, et on ne s’étonnera pas dès lors qu’il y ait fait quelques ravages. Les radicaux, plus habiles que sincères, laissent ces illusions durer ; ils les propagent même, parce qu’ils espèrent en retirer des avantages électoraux ; mais en même temps ils modifient pour les initiés le caractère des réformes qu’ils avaient promises, afin de rendre possible leur rentrée dans les combinaisons futures. Pour savoir s’ils ne se trompent pas dans leurs calculs, il faudrait être à même de prédire ce que seront les élections, et nous ne sommes pas prophètes.

Toutefois, si les radicaux se modèrent, — qu’ils nous pardonnent le mot, — sur la question de l’impôt sur le revenu, ils restent intraitables sur la question de la révision de la Constitution. Ils veulent une révision ; ils négligent, à la vérité, de dire laquelle ; on sait seulement qu’elle devrait porter à leur gré sur la restriction des droits du Sénat en matière financière. Une révision est toujours une épreuve dangereuse. Une fois le Congrès réuni à Versailles, nul ne peut