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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/73

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« Vous faites bien d’établir l’usage qu’aucun membre du corps diplomatique ne peut voir ni vous, ni la reine. Les membres du corps diplomatique sont des espions que rien ne peut contenter, qui écrivent d’autant plus de sottises qu’on les traite mieux. Ayez une grande audience diplomatique tous les mois et ne les voyez que là. Moins le corps diplomatique vous approchera, et mieux cela vaudra. »

Presque tous les souverains actuels n’admettent les ambassadeurs à leur audience que sur une demande motivée. La reine Victoria ne les reçoit qu’à des concerts, à des bals, à des levers et les invite à dîner une fois par an. Ils n’ont d’accès facile qu’auprès de ses ministres. La cour de Prusse leur est fermée, à moins qu’ils ne soient des ambassadeurs de famille. Bismarck, devenu chancelier tout-puissant, ne les recevait que difficilement et avait préposé un secrétaire d’Etat à cet office.

C’est qu’en effet les ambassadeurs ne sont après tout que des surveillans ou des tentateurs décorés d’un titre pompeux, « espions, dit, avant Napoléon, le seigneur de Comynes, sûrs et honorables. Aussi, ajoute-t-il, il y a plus d’avantages à les envoyer qu’à les recevoir ; et les ambassades les moins fréquentes et les plus courtes sont toujours les meilleures pour celui qui les reçoit. » Pendant bien longtemps les chefs d’Etat n’admirent que des ambassadeurs extraordinaires chargés de traiter une affaire spéciale et qui se retiraient après l’avoir conclue ; ils refusaient d’accueillir des ambassadeurs résidens, chargés de guetter leurs pensées, de surveiller leurs actes. Même aujourd’hui, ils se réservent de refuser, sans explication, qui ne leur est pas agréable[1].

Avant Napoléon III, Louis-Philippe, au début de son règne, avait déjà établi une diplomatie occulte. Sous le ministère Laffitte, certaines décisions prises par lui seul avec le concours de Sébastiani, son ministre des Affaires étrangères, ou de Talleyrand, furent volontairement cachées au président du Conseil dont on redoutait tout au moins la faiblesse ou l’indiscrétion. Les

  1. En l’an 1626, le cardinal de Richelieu, ayant su que le duc de Buckingham devait venir en France en qualité d’ambassadeur d’Angleterre, lui fit dire, de la part du roi, son maître, qu’il ne se donnât pas la peine, parce que sa personne ne serait pas agréable. Le tsar Nicolas refusa de laisser accréditer Stratford de Redcliffe, le sultan anglais, son antagoniste heureux à Constantinople pendant tant d’années. — Victor-Emmanuel n’admit pas auprès de lui le ministre envoyé par le roi de Prusse, le général Willisen, qui avait écrit contre l’Italie et combattu contre elle à Solférino. Pie IX refusa d’admettre, comme ambassadeur de l’Empire allemand auprès de lui, le cardinal de Hohenlohe, etc.