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l’amour de la popularité, elle avait empêché les magistrats d’appliquer les lois invoquées par eux, les Chambres de réclamer contre les jésuites l’expulsion inscrite dans ces lois, elle avait conseillé aux corps politiques et judiciaires de laisser au gouvernement l’odieux des mesures à prendre, elle avait décidé le ministère à ne commettre aucune des violences prescrites par les textes anciens, et à promettre, quand il fermait les chaires des jésuites au nom du monopole, la liberté d’enseignement[1].

Il y avait là une grande leçon de choses. L’opinion devenait hostile et aux privilèges et aux rigueurs que les rois avaient tour à tour ou tout ensemble répandues sur le catholicisme. Avertissement était donné aux catholiques de ne plus mettre leur espoir dans les faveurs que la royauté se trouvait impuissante à maintenir et où les autres pouvoirs de l’Etat faisaient brèche. N’était-ce pas mettre les catholiques en demeure de se ménager une entente avec le souverain nouveau ? N’était-il pas temps, comme les Athéniens avant Salamine, d’abandonner, malgré la piété des souvenirs et la religion des habitudes, l’Acropole investie, de passer du sol ferme sur les navires, sur la mer, mobile mais libre ?

Un mouvement spontané de défense avait inspiré cette audace aux catholiques, pairs ou députés, qui eurent à combattre la pétition Montlosier et les Ordonnances. Deux seulement, le cardinal de la Farre et M. de Bonald, soutinrent l’Eglise par raisons d’Eglise : le premier démontra qu’il fallait choisir entre elle et la Révolution, l’autre que ce conflit continuait la lutte de Rome et de la Réforme. Ces thèses d’autorité, qui fournissaient argument aux dénonciateurs de l’ambition cléricale, passèrent comme des traits lancés trop haut, par-dessus les intelligences moyennes. L’embarras des adversaires et l’intérêt du public commencèrent quand Mgr Frayssinous tira de la condition faite aux jésuites dans la société moderne le principal argument en leur faveur, rappela que sous l’ancien régime la Compagnie formait une personne, pourvue de biens et de droits, que l’Etat créateur de cette personne morale avait compétence pour la dissoudre, mais que, depuis, les jésuites, devenus particuliers, ne constituaient plus cet être collectif et privilégié, que l’État ne leur ayant rien accordé n’avait rien à leur reprendre, et que, s’il empêchait ces particuliers de

  1. « Si la législation ne comporte pas encore cette mesure de liberté, il faut s’en rapprocher prudemment, progressivement. » de Valimesnil, ministre de l’Instruction publique. Chambre des Députés, 8 juillet 1828.