Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 146.djvu/81

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur lequel on pourra construire une Italie ; mais il lui faut beaucoup d’années de paix et de bonne conduite. La guerre le perdrait ! » Prophétie à rebours comme presque toutes celles de Thiers. Les années de paix et de bonne conduite n’ont jamais ni fondé ni relevé une nation : ce n’était qu’à coups de canon que le Piémont pouvait ouvrir l’impasse dans laquelle il se consumait depuis la paix de Milan.

Aucune combinaison de la diplomatie ne pouvait obtenir l’affranchissement de l’Italie. L’Autriche mettait son point d’honneur militaire à s’y opposer et n’offrait que des réformes administratives ; l’Italie voulait son expulsion et n’acceptait que l’indépendance. A chaque instant, éclataient des conflits. Le 6 février 1853, Mazzini tenta un soulèvement insensé à Milan ; ni le gouvernement piémontais, ni les émigrés lombards n’y avaient participé. Le gouvernement piémontais avait même garni sa frontière de troupes pour arrêter les mazziniens ; la plupart des émigrés lombards avaient exprimé leur douleur d’une tentative qui, n’ayant eu aucune chance de réussir, allait donner prétexte à de nouvelles cruautés. Le gouvernement autrichien soumit au séquestre (23 février) les biens de tous les émigrés lombards, même de ceux naturalisés sardes. Le Piémont réclame : son bon droit est appuyé par la France et l’Angleterre. L’Empereur avertit Cavour par Arese, que si l’on demandait sa médiation, il examinerait l’affaire avec le désir sincère d’une solution favorable au Piémont (20 mars 1853). L’Autriche ne voulut rien entendre. Les relations diplomatiques furent rompues et les séquestres maintenus. Toute transaction était impossible, la force seule pouvait vider une hostilité constante et irrémédiable. Voilà un de ces cas où la guerre est inévitable et par suite légitime. Sans la guerre, c’en était fait du Piémont ; il se serait affaissé dans des discordes intestines ou effondré de nouveau et pour longtemps aux pieds de l’Autriche. Mais il eût été insensé de s’engager seul dans une guerre inégale contre un adversaire trop fort, et l’unique espérance de salut était précisément dans ce que redoutait Thiers, que la France entraînât l’Italie dans les folles aventures : ainsi les routiniers et les égoïstes ont toujours nommé les généreuses initiatives.

Napoléon III était fermement résolu à la folle aventure ; dès les premiers jours de son règne, la guerre à l’Autriche fut arrêtée dans son esprit, comme condition de l’affranchissement de l’Italie. Il ne lui convenait cependant pas de se jeter à l’étourdie