Beaumesnil relève de couches… Ainsi c’est une personne des plus formées pour son âge. Je crois que jamais actrice n’a débuté avec autant d’aisance… Elle a eu le plus grand succès : si elle avait paru dans un rôle moins mauvais, elle aurait tourné la tête à tout Paris. »
Elle tourna du moins celle d’un abonné de l’Opéra, M. de la Belinaye. C’était un gentilhomme breton, d’âge mûr ; pendant trente ans, il avait vécu à son régiment ou dans sa province, pestant contre la modicité de sa fortune qui l’obligeait à la retraite. Gratifié sur le tard d’un héritage considérable, il songea à regagner le temps perdu, fit l’acquisition d’un hôtel, monta luxueusement sa maison et devint l’habitué des lieux de plaisir. Recherchant tous les moyens agréables de dépenser sa fortune et séduit par la jeunesse de Mlle Beaumesnil qu’on disait d’une vertu accessible, il lui offrit sa protection, agrémentée d’une pension mensuelle de mille écus : l’actrice ne se montra point sévère et bientôt rien ne manqua plus à la félicité de M. de la Belinaye. Il s’était, par surcroît, institué le mentor d’un de ses neveux : Charles-Armand Tuffîn de la Rouerie, enseigne-drapeau au régiment des Gardes françaises, et il s’appliquait à l’initier aux douceurs de la vie parisienne. Le jeune homme se montra docile, étant à l’âge où l’on apprend vite : il avait, en effet, lorsqu’il arriva à Paris, dix-sept ans, un cœur sensible et généreux, un esprit aimable, le regard vif, la figure agréable, quoique peu régulière, une tournure avantageuse. Encore enfant quand il perdit son père, élevé par sa mère, jeune femme jolie et coquette, il avait reçu une instruction plus brillante que solide, parlait très bien l’anglais et l’allemand, excellait dans la danse ; bref, il aurait été le modèle des enseignes s’il eût su réprimer les emportemens de sa nature ardente et exaltée. M. de la Belinaye se chargea de compléter son éducation.
A force d’accompagner celui-ci à l’Opéra, de l’entendre vanter la beauté et les charmes de Mlle Beaumesnil, le jeune officier aux Gardes, d’autant plus attentif à ces louanges qu’il ignorait les relations de son oncle avec la chanteuse, se prit à rêver d’elle plus qu’il ne convenait à son imagination inflammable, et il devint irrésistiblement amoureux. Comme il n’était pas homme à se laisser dépérir de langueur, il se présenta, certain soir, après le spectacle, à la loge de la Beaumesnil, qui le congédia sans vouloir l’entendre. Cette défaite exalta son désir : il fit savoir à