1772, Cook se rend à Taïti, accompagné du naturaliste Forster, observer le passage de Vénus ; en 1815 le Russe Kotzebue fait le tour du monde sur le Rurik, avec le naturaliste Chamisso ; en 1826, le futur amiral Fitzroy, sur le Beagle, prend à son bord Darwin : Bougainville sur la Boudeuse, de Freycinet sur l’Uranie, en 1827, Vaillant sur la Bonite en 1836, et d’autres encore étudient l’histoire naturelle de tous les climats et rapportent des collections. Même hardiesse sur terre que sur mer. Victor Jacquemont se rend dans l’Inde, débordant d’ardeur, enivré de l’amour de la science à l’aspect des étrangetés et des grandeurs de la nature.
Ceux dont l’âge dépasse aujourd’hui le demi-siècle ont eu leur enfance et leur jeunesse éclairées des derniers reflets de ces émotions. Nous n’avions pas alors ces encyclopédies de romans scientifiques, quintessence des connaissances humaines contenues en cinq cents pages, comme la viande d’un bœuf entier est concentrée dans un tout petit pot, et nous étions, faute d’une autre nourriture plus ou moins substantielle, obligés d’alimenter notre esprit avec de l’imagination. On commençait par l’histoire de Sindbad le marin, du Vieillard de la mer, de la Vallée aux émeraudes et aux rubis au-dessus de laquelle plane avec de grands battemens d’ailes l’oiseau-roc. On continuait par la bibliothèque des voyages, Cook, Dampier, Carteret, Lapérouse, les souvenirs de Jacques Arago, l’aveugle, et les adorables lettres de Victor Jacquemont. Avec des livres d’images — et quelles images — on trouvait le moyen de s’imprégner de l’éblouissante lumière du soleil de l’équateur ; on respirait les senteurs des forêts vierges où les hauts cocotiers font onduler leur panache de feuilles dominant les taillis touffus et les bosquets ombreux au pied desquels, sur la grève en sable fin d’une île déserte, viennent déferler mollement les flots assoupis ; on plongeait ses regards dans les profondeurs sombres des nuits étoilées. C’étaient des festins de la pensée. Sur la page ouverte d’une mappemonde, on rêvait, on courait les mers des tropiques jusqu’aux pôles, bravant les tempêtes et les glaces éternelles, ramassant d’incalculables trésors de poésie, consolation et souvent force de notre âge mûr ; qui après bien des années, dissipés, envolés en fumée légère au vent des tempêtes de la vie, terribles et implacables autant que celles de l’océan, réduits à n’être plus que l’humble denier, aumône de veuve, restent encore la joie et la bénédiction d’une vieillesse qui s’avance à grands pas.