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LES REVUES ÉTRANGÈRES

UN ROMAN POSTHUME DE WILLIAM MORRIS

The Sundering Flood, 1 vol. Londres, 1898.

Il y avait une fois un pays où les fées, les génies et les nains ne dédaignaient pas de se mêler à la vie des hommes. Un fleuve, ou plutôt un torrent, traversait ce pays du nord au midi, si large et si rapide que personne, jamais, n’avait pu passer d’une de ses rives à l’autre : aussi l’appelait-on the Sundering Flood, « le flot qui sépare ». Et, comme c’est souvent le cas dans les pays de ce genre, les deux rives étaient si pareilles l’une à l’autre, que non seulement on y voyait les mêmes montagnes et les mêmes vallées, mais que jusqu’aux bergeries, aux villages et aux villes, tout y était réparti de la même manière.

Or voici qu’un petit garçon nommé Osberne, errant sur l’une des rives en quête d’imprévu, certain jour de printemps, parvint à un endroit où les eaux, tout à coup resserrées, formaient une sorte de coude entre deux murs de rochers : on appelait cet endroit « la crique de la Colline Coupée en deux », et en effet la colline y semblait coupée en deux par le flot, qui nulle part, d’ailleurs, ne coulait plus vite ni avec plus de fracas. Et tandis que l’enfant se tenait là, immobile, contemplant de ses yeux ébahis l’ouverture d’une grotte creusée dans le mur, sur la rive opposée, une forme humaine sortit de la grotte : c’était un enfant, une petite fille, tête nue et pieds nus, humblement vêtue de grosse laine bleue, mais avec d’admirables cheveux blonds qui ruisselaient sur ses épaules, la recouvrant toute comme d’un manteau d’or. Osberne, au contraire, avait mis, ce jour-là, ses plus beaux