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pouvoir se tuer ; tout couvert de sang, il lava ses blessures pour en examiner la gravité, puis, après un moment d’hésitation, il se tira une quatrième balle au sein gauche : celle-là lui donna la mort. — Un menuisier, père de quatre enfans, désespéré de la misère où il est tombé, se suicide, après avoir écrit à sa femme : « Je te demande pardon, ma Louise, et à vous aussi, mes chers enfans, de toute la peine que je vais vous faire. Ne me blâmez pas trop, plaignez plutôt celui qui s’était bercé toute sa vie de l’espoir de vous voir heureux. Adieu donc, ma chère Louise ; adieu aussi, chère Marie ; adieu à toi, mon Léon ; à toi aussi, ma chère petite Jeanne, je dis adieu. Tâchez tous de consoler votre mère en l’entourant de vos soins et de vos caresses. »

Lorsque la misère entre dans un ménage, les époux n’ont pas toujours la sagesse de chercher une consolation dans leur affection ; leur caractère s’aigrit, ils deviennent injustes l’un pour l’autre ; et ces querelles contribuent quelquefois autant que la misère à déterminer le suicide de l’un ou de l’autre. « Mon gendre qui vient de se suicider, disait dernièrement un garçon de recettes, cherchait du travail depuis dix mois, sans réussir à en trouver ; il devait se contenter pour vivre de quelques rares remplacemens qu’il faisait comme garçon boucher. D’autre part, ma fille, sa femme, était tellement affectée de cet état de choses, qu’elle était très surexcitée ; il survenait dans le ménage des disputes fréquentes, qui se sont terminées par le suicide de mon gendre. » La femme qui voit son mari manquer de travail, effrayée de la misère, adresse souvent au mari d’injustes reproches ; quelquefois même elle l’abandonne et retourne chez ses parens. Alors, resté seul, très affecté du départ de sa femme qu’il aime et du départ des enfans que sa femme a emmenés, le malheureux père redouble d’efforts pour trouver du travail, espérant que, le jour où il en aura trouvé, il rentrera en possession de sa femme et de ses enfans ; mais la fatalité s’acharne quelquefois sur certains ouvriers, rien ne leur réussit ; au moment où ils vont atteindre le but, un obstacle imprévu surgit, le travail qui a été promis est retiré, et alors les malheureux se donnent la mort. Une femme qui avait quitté avec ses enfans son mari, parce qu’il manquait de travail, appelée à donner des renseignemens sur la cause du suicide de l’ouvrier, disait au commissaire de police : « Mon mari, ce matin même, était parti pour s’embaucher, mais, lorsqu’il est arrivé, la place qu’on lui avait indiquée était prise. Il m’a