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complètement sans ressources. Les frais de pharmacien et de médecin coûtent cher à Paris. Le propriétaire, auquel je dois deux termes de loyer, me menace d’expulsion. Telle est ma situation. » Pour s’y soustraire, il se pend. — Les officiers en retraite sans fortune personnelle sont malheureux à Paris ; ils se font courtiers, représentans de commerce, agens d’affaires, tombent souvent dans la misère et aboutissent quelquefois au suicide.

Les catastrophes financières, qui ont été si nombreuses pendant ces dernières années, ont déterminé et continuent encore à déterminer des suicides. La catastrophe du Panama a ruiné un grand nombre de personnes qui avaient placé là leurs petites économies et provoqué parmi elles beaucoup de suicides. L’année dernière, un homme veuf et sa belle-mère qui vivait avec lui se sont pendus, après avoir bu une infusion de pavots, en priant le commissaire de police de les faire enterrer, car ils n’avaient plus rien, ils avaient tout perdu dans le Panama. — Un jardinier et sa femme, ruinés par le Panama, se sont asphyxiés. — Le 11 octobre 1897, un ancien ingénieur des chemins de fer de l’État, ayant perdu dans la catastrophe le petit capital qu’il avait amassé par vingt années de travail, écrivait : « Il y a six semaines que je meurs littéralement de faim et que je ne mange que deux sous de pain sec par jour, pendant qu’on me doit 80 000 francs. Je ne peux pas aller plus loin, le martyre est trop long et je préfère en finir de suite par l’acide carbonique. Depuis deux mois, je fais 60 kilomètres à pied dans Paris le ventre vide pour trouver du travail que je ne trouve pas. La mort finira mon supplice. »

La misère est plus difficile à supporter quand elle succède à l’aisance. Ce passage de l’aisance à la misère, qui est une cause fréquente de criminalité, est aussi une cause de suicides. En 1896, sept personnes exerçant des professions libérales se sont donné la mort par misère. J’ai observé la même année le cas d’un homme qui s’était ruiné complètement par des actes de générosité, en répondant pour des parens et des amis, qui tomba dans la plus grande misère et qui finit par se suicider en écrivant à sa femme : « Dans quatre jours, je ne serai plus ici ; tout ce qui me fait de la peine, c’est de te laisser dans la misère. »

Nous ne sommes plus à l’époque où les écrivains, les poètes surtout mouraient de faim et se tuaient de désespoir. « La faim mit au tombeau Malfilâtre ignoré », a dit Millevoye ; elle a conduit