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reçût autre chose qu’une promesse d’indemnité encore attendue ; sans que personne en France signât de pétition contre cette « injustice », qui ne frappait que des innocens fidèles jusqu’à la mort à la foi et à la patrie qu’ils avaient choisie. Pour consoler la France, d’honnêtes personnes nous proposèrent le Tchad. Au lieu du Victoria Nyanza, immense et profonde cuvette d’eau, aux sources du Nil, près du Congo et de ses affluens, facile à atteindre de l’Océan Indien, entourée de pays très riches et de races intelligentes, c’était une gigantesque plaine basse, noyée sous les eaux, épaisses au plus de six mètres. Des voyageurs l’avaient décrite, cette savane inondée, dont les rives toujours incertaines interdisent d’y établir des ports, dont un quart peut-être est couvert d’îles si voisines, d’herbes si touffues que des caravanes traversent le lac sans s’en douter ; terre tour à tour inondée ou découverte, féconde donc en miasmes putrides, en fièvres violentes, en myriades d’essaims de moustiques ; bas-fond dont aucun fleuve ne sort, où un seul se perd ; si voisin du désert au nord que là seulement les rives sont nettes, parce que les dunes de sable s’y avancent. C’en fut assez pour enthousiasmer la presse, le public, et faire écrire le livre : A la conquête du Tchad ! La fin tragique de Crampel redoubla l’ardeur. A tout prix, il fallait conquérir cette « mer intérieure ». Les expéditions se succédèrent. Seul le lieutenant de vaisseau Mizon vit clair.

Il comprit que la richesse, c’était la Bénoué et le plateau de l’Adamaoua. Venu par le Niger, il fut interné à Akassa par la compagnie pendant qu’elle échouait dans son expédition au Bornou, auprès du sultan de Sokoto qui refusait de traiter avec elle, auprès de l’émir d’Adamaoua, et se faisait même expulser du Mouri. Libéré par ordre du gouvernement anglais, M. Mizon parvint dans l’Adamaoua, y fit accepter notre protectorat (1891), retourna en France par le Congo’, et put revenir en 1892-93 renouveler le traité avec l’Adamaoua et en signer un avec le Mouri. Ce Mizon, que des publicistes étrangers nous représentent comme un casse-cou, nous a exposé[1]la méthode pacifique et bienfaisante par laquelle il s’imposait. Les protestations anglaises le forcèrent à revenir en France ; la compagnie saisit son vaisseau, le Sergent-Malamine, et ses marchandises. On attend l’indemnité.

La France allait s’établir dans l’Adamaoua, plateau de

  1. Louis Mizon, Une Question africaine (1895).