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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/300

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« Vous en avez t’y une belle paire d’z’yeux ! » s’était-il écrié.

Quant au brave colonel Gambin, ce brillant et héroïque soldat, je le vis en 1833, à Marseille, lorsque nous nous rendions à Montpellier. Il y vivait en retraite. Je me promenai avec un camarade sur le port ; on me le montra assis sur un banc avec sa femme. Il était bien difficile de reconnaître le héros de Gratz dans ce vieillard rabougri, tout ratatiné, greloteux et minable, avec sa femme, une petite vieille aussi, dont la figure était encadrée sous un énorme capuchon, et qui portait au bras un grand cabas. On eût dit un couple de portiers qui venait se chauffer au soleil après avoir vaqué toute la journée aux soins de l’immeuble confié à leur garde.

La fermentation commençait à se calmer à Lyon dans la population et dans la garnison, lorsque nous apprîmes qu’on se battait à Nîmes. Trestaillon et les pires suppôts de la Terreur Blanche s’étaient, disait-on, soulevés et venaient de cerner le 36e de ligne dans les arènes ; ils massacraient les soldats aux cris de : Vive Charles X ! On envoie d’abord le 10e de ligne ; ce régiment, avant de partir, touche cinq cartouches par homme : c’est tout ce qu’il y a de munitions dans l’arsenal de Lyon. Le lendemain les nouvelles deviennent encore plus mauvaises. Le général envoie par bateaux deux bataillons du 47e au secours du 10e.

De grand matin nous partons, chargés de tous nos bagages ; nous nous rendons au quai de la Mulatière où sont alignés des chalands ; on nous y entasse, officiers, soldats, sacs, fusils, comme des ballots. Malgré l’heure matinale, la population est accourue en masse, et la garde nationale en armes est aussi venue nous faire cortège ; au moment où le signal du départ est donné, l’émotion des assistans est à son comble : on nous tend les bras ; on fait pour nous les vœux les plus ardens ; l’enthousiasme est indescriptible. Des hourras frénétiques et des discours se croisent en tous sens.

Le premier soir, nous allons coucher à Tournon ; le deuxième, à Valence, et le troisième, à Avignon.

Pendant les deux premiers jours, notre flottille, objet de la curiosité des riverains, excitait chez eux des manifestations sympathiques autant que bruyantes, mais au-dessous de Valence, ces démonstrations populaires s’attiédirent peu à peu et enfin cessèrent. Cela choqua les soldats ; et ils trouvèrent charmant de faire