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a l’avantage de dominer le golfe du Mexique, elle a aussi deux graves inconvéniens.

Le premier, d’être enfermée dans le champ clos que forment, du côté de l’Atlantique, les deux chaînes à mailles serrées des Bahamas et des Petites-Antilles, de sorte qu’une escadre qui voudrait partir de la Havane pour opérer sur la côte orientale des États-Unis échapperait difficilement aux recherches des éclaireurs, ou du moins à la vue des navires neutres, vapeurs, voiliers et caboteurs, qui pullulent dans ces parages et auprès desquels il est toujours aisé de se renseigner ;

Le second, que cette même escadre, quand elle viendra d’Espagne par les Canaries ou les îles du Cap-Vert, devra faire 1 000 ou 1 500 milles marins, sur 3 500 à 4 000, à petite distance des terres, ce qui l’exposera à être reconnue et interceptée avant d’avoir pu atteindre sa future base d’opérations ; sans que, d’ailleurs, elle puisse tirer de ce voisinage des terres quelque bénéfice, car il s’agit soit d’îles neutres, où la durée d’une relâche ne saurait excéder vingt-quatre heures et où il est fort possible qu’on refuse du charbon, soit de l’île de Porto-Rico, espagnole, celle-là, mais où l’on n’a pas pris la précaution de créer un jalon de ligne d’opérations, une base secondaire, suffisamment solide.

Dans les guerres maritimes du siècle dernier et particulièrement dans celle de 1778 à 1783, quand l’Espagne combattait avec nous l’Angleterre pour assurer leur indépendance aux États-Unis, c’était à la Martinique, à Fort-de-France, qu’elle trouvait ce précieux jalon, ce gîte d’étapes si commode à l’entrée de la mer des Antilles, aux deux tiers de la route de ses flottes. Le retrouvera-t-elle, cent vingt ans après, et les règles de la « stricte neutralité » ne lui refuseront-elles pas les ressources que d’autres trouveront, sans aller jusqu’à Key-West, soit à Nassau des Bahamas, soit à Saint-Thomas, soit aux Bermudes ?

Quoi qu’il en soit, tout cela devait être prévu depuis longtemps, et alors pourquoi n’avoir pas tiré parti de cette belle position stratégique de San Juan de Porto-Rico, complètement dégagée des Bahamas comme des Petites-Antilles, et pas beaucoup plus loin de New-York que ne l’est la Havane ?

Mais à Cuba même, et sur un tout autre théâtre d’opérations, aux Philippines, que l’on savait convoitées autant que « la perle des Antilles », avait-on pris à temps toutes les