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l’honneur, de la foi, ou de la beauté. C’est Thèbes, ou Jérusalem, Athènes, Florence… ou Paris. Tous glorifient la pensée, et déifient la femme : Isis, Athèna, Marie. Leurs œuvres sont faites d’émotion et de mesure ; leurs temples peuvent être petits : ils sont toujours beaux. Les autres adorent la force, suivent l’orgueil, ou déifient l’or. C’est Babylone ou Ninive, Rome, Carthage… ou Londres. Leurs œuvres sont des monumens passagers de guerre, de négoce, ou de vanité ; leurs temples peuvent être colossaux ; ils sont médiocres toujours.

La valeur symbolique des monumens, — des modernes aussi bion que des anciens, — sera donc exprimée par leur place historique et par leur perfection technique. Ils ne sont, et ne durent, que si leur forme matérielle est réalisée sous l’action d’une volonté consciente, qu’elle vienne d’un individu ou d’une collectivité ; et selon des principes exacts, mathématiques, semblables aux forces qui régissent la nature même, aux lois statiques qui font tenir debout la forêt idéale, d’où va naître la réelle architecture. Ils ne sont significatifs que s’ils gardent en leur masse, que s’ils enferment en leur réalité quelque concordance avec l’absolu, quelque lien avec l’inconnaissable, dont l’architecte qui les construit est le porteur instinctif et prédestiné, — j’entends quelque chose de cet impondérable pouvoir qui fera germer et croître, au moment nécessaire, la forêt, le temple, la cathédrale. Ils ne sont beaux, enfin, que s’ils contiennent, avec l’âme de leur temps, le cœur et le sang de cet artiste, de ce prêtre d’un jour qui est chargé d’expliquer dans la pierre, comme d’autres dans le texte sacré, l’Esprit et le Verbe, de ce créateur d’une heure qui n’a pu communiquer de vie aux choses qu’en leur donnant toute la sienne et laisse à jamais de ce don de lui-même quelque chose d’humain à la cathédrale, au temple, à la forêt.

Cette triple condition de stabilité matérielle, de beauté logique, et de signification morale, est une primordiale trinité de poids, de nombre et de mesure. La forme trinitaire des plus lointains dogmes atteste ce principe primordial de la division des forces et les constructions les plus anciennes en ont, dans leur forme aussi, conservé la primitive empreinte. Le principe d’un pouvoir unique en trois espèces a déterminé les monumens religieux, en même temps qu’il organisait les croyances populaires. Ce ne sont peut-être que des emblèmes, mais si les édifices en gardent la trace, comme d’un moule préhistorique, la