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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/424

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considération ne pourrait le retenir ; son tempérament impétueux, sa nature ardente et loyale le pousseraient à reprendre sa vie errante, à courir chez ses affiliés pour relever leur courage, à quitter surtout une retraite où sa présence mettait en danger ceux qui lui avaient donné asile. Chaque jour, il est vrai, la Rouerie se faisait lire le journal par Saint-Pierre ; on ne pouvait, sans donner l’éveil à son esprit toujours inquiet, manquer à cette habitude ; mais on prévint le domestique et on lui indiqua le passage de la gazette qu’il devait passer sous silence.

Le marquis ne dormit pas de la nuit : avait-il saisi sur le visage de ses amis quelque trace de leurs angoisses ; s’étonnait-il de leur visite inattendue ; ou peut-être, dans le va-et-vient du château, avait-il perçu, à travers les cloisons, un mot de nature à éveiller son attention ? On l’ignore. Le lendemain pourtant, son état ne paraissait pas avoir empiré, il causa tranquillement avec ses amis, attendit patiemment l’heure où ils devaient descendre à la salle à manger pour prendre leur repas : c’était habituellement à ce moment que son domestique lisait à haute voix le journal. A l’heure dite, la gazette fut apportée, Saint-Pierre commença sa lecture. Sans doute, à son attitude embarrassée, ou à l’hésitation du débit, le malade comprit qu’on lui cachait quelque chose. Il interrompit :

— J’ai soif, dit-il, va me chercher à boire ; tu reprendras tout à l’heure.

Saint-Pierre, troublé, obéit ; il sort, laissant le journal sur la cheminée, descend au vestibule, entre dans la salle à manger : à peine en a-t-il ouvert la porte qu’un cri terrifiant retentit au premier étage : on entend le bruit d’une chute, des appels désespérés : tous se lèvent de table, se jettent dans l’escalier, poussent la porte de la chambre du marquis, et le trouvent se débattant sur le plancher, en proie à une exaltation effrayante, les yeux fous, le visage en sang, — il s’était, en tombant, fendu la lèvre inférieure, — réclamant, dans son délire, son cheval, ses vêtemens, ses armes, hurlant le nom du Roi, qu’il voit devant lui, qui l’appelle à son secours, et répondant à cette vision sinistre par des cris de rage et de douleur.

Fontevieux, la Guyomarais, Loisel, Saint-Pierre se saisissent du malheureux, le soulèvent malgré sa résistance, le portent sur son lit où ils le maintiennent de force, tandis que les femmes dépêchent les domestiques à Plancoët et à Lamballe afin