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que cet étranger « n’a manqué d’aucun soin ». Casimir se contente de répondre non à toutes les questions.

Mais voilà qu’un tumulte se produit dans le corridor : les gendarmes retiennent Perrin qui a passé la nuit à boire ; il est ivre, il veut parler au citoyen juge : il demande à compléter sa précédente déclaration ; on l’introduit et le malheureux, d’une voix pâteuse, affirme que le prétendu serviteur du marquis de la Rouerie est un nommé Loisel, contrôleur des actes à Plancoët, et que le marquis avait avec lui un autre domestique, nommé Saint-Pierre… Il n’en dit pas plus long pour le moment et redescend à la cuisine.

La procédure se poursuit : Agathe de la Guyomarais se refuse à répondre ; malade elle-même et forcée de garder la chambre, elle n’est au courant de rien. Sa sœur Hyacinthe n’est pas interrogée : une de leurs amies, Mlle de Villepaye, en visite à la Guyomarais depuis une quinzaine de jours, ne fait que passer devant le juge : elle ignore toutes les circonstances du drame et n’a même jamais entendu prononcer le nom de la Rouerie.

Le jour était venu : depuis dix-huit heures, Lalligand exaspéré et Petitbon toujours souriant s’efforçaient d’arracher aux prévenus un aveu, ou de surprendre dans leurs réponses une contradiction : seul, Perrin avait parlé, et maintenant qu’on interrogeait Mme de la Guyomarais et son mari, Burthe s’occupait à entretenir l’ivresse du jardinier : il s’était attablé près de lui dans la cuisine, lui versait de l’eau-de-vie tout en comptant négligemment des pièces d’or. Perrin, à tout instant, demandait à parler « au citoyen juge » ; enfin, le voyant à point, Burthe, lui offrit cent louis s’il voulait le conduire à la tombe du marquis. Le jardinier le regarda, hébété, comme sous l’impression d’une suprême lutte de sa conscience ; mais l’ivresse et la cupidité l’emportèrent :

— Venez, dit-il.

Burthe et Lalligand sortirent avec lui du château : une trentaine d’hommes, gendarmes ou gardes nationaux, les escortèrent, le reste de la troupe conservant ses postes et surveillant les prévenus groupés dans le salon du rez-de-chaussée.

Perrin traversa la cour de la ferme, et, poussant une barrière, entra dans le bois : Lalligand, Burthe et Petitbon suivaient ; des paysans, attirés par le bruit des événemens qui se passaient à la Guyomarais, étaient venus, à l’aube, des fermes voisines, du Bas-Beulay, des Feux-Morins, de Landébia, et regardaient