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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/436

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l’avons fait rejeter dans le trou à la profondeur de quatre pieds et recouvrir de terre après en avoir fait séparer la tête à la réquisition du citoyen Lalligand-Morillon, commissaire.


Lalligand avait son idée. Depuis plus de trois heures, les membres de la famille de la Guyomarais, gardés à vue par les soldats dans le salon du château, attendaient anxieusement le résultat des perquisitions. A quelques mots échangés entre les gendarmes, ils avaient compris que Lalligand visitait les alentours de la maison et du jardin ; mais persuadés qu’aucun d’eux ni de leurs serviteurs n’avait parlé, ils espéraient encore que la tombe du marquis, et, par suite, toute preuve de son séjour à la Guyomarais, échapperait aux recherches des commissaires : leur confiance s’affermissait en raison de la durée des perquisitions.

Un peu avant cinq heures, ils entendirent le tumulte de la troupe qui se rapprochait : par la fenêtre basse, donnant sur la cour, ils virent Lalligand tourner l’angle du donjon et se diriger vers le château ; les commissaires du département, le juge, le médecin l’accompagnaient ; derrière eux marchaient en désordre les soldats et les gendarmes qui, sur un signe de Burthe, firent halte et se turent. La porte du salon s’ouvrit ; Lalligand entra ; derrière lui, les commissaires et quelques curieux ; d’autres s’étaient massés en dehors de la fenêtre que quelqu’un avait poussée et qui se trouva ouverte. Il y eut une sorte de silence ; et Lalligand, s’avançant vers Mme de la Guyomarais :

— Citoyenne, fit-il, notre mission est terminée. Tu persistes à nier que le ci-devant marquis de la Rouerie ait trouvé asile dans ta maison ?

Mme de la Guyomarais, surprise de cette intrusion, hésitait à répondre, cherchant à pénétrer la pensée de l’espion, quand, tout à coup, le groupe massé devant la fenêtre s’écarta, et une main jeta dans la chambre un objet boueux, sanguinolent, velu, horrible qui vint heurter la jupe de Mme de la Guyomarais et roula sur le plancher. La malheureuse poussa un cri de terreur : elle avait reconnu la tête du marquis de la Rouerie : M. de la Guyomarais, indigné, repoussant les gendarmes qui le gardaient, s’élança pour soutenir sa femme ; d’un geste, imposant silence aux ricanemens des patriotes :

— Soit, il n’y a plus à nier, dit-il ; voilà bien la noble tête de l’homme qui, si longtemps, vous a fait trembler.