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des armoires, couchaient Casimir et Amaury de la Guyomarais ; au fond, la façade du château avec ses hautes mansardes, son toit d’ardoise. Voilà les dalles du vestibule que heurtèrent les crosses des soldats ; à gauche, le salon où roula, sur ce parquet, la tête du marquis de la Rouerie ; à droite la salle à manger et, plus loin, avec ses lits, ses tables, ses bancs énormes de chêne massif, vieux de deux siècles, l’immense cuisine où Burthe fit boire le jardinier et lui arracha son secret. Du vestibule part le large escalier à lourde charpente de bois ; c’est par-là qu’on descendit, dans cette terrible nuit de janvier, le corps du proscrit : le drap qui l’enveloppait a frôlé ces murs ; le pas alourdi des porteurs a résonné sur ces marches de chêne ; ils ont posé leur main sur cette rampe… Comme les choses parlent à ceux qui les interrogent ! Comme elles racontent, mieux que le plus éloquent des livres, les drames où elles ont joué un rôle !

Dans le demi-jour, tombant des vitres à petits châssis, le couloir du premier étage est sinistre. Là s’ouvre la chambre où mourut le marquis, rien n’y a changé ; sur ces poutres du plafond se sont arrêtés ses derniers regards ; à cette place, devant la cheminée, Lalligand posa sa table ; toutes ses victimes, appelées à comparaître, ont franchi, la gorge serrée, le cœur battant, cette porte basse. Au fond de la grande chambre de M. de la Guyomarais est restée l’armoire à secret qui recelait les armes.

Dans le bois voisin du château un tertre de pierres qu’un lierre enguirlande recouvre la tombe du marquis que domine une croix de fer dont les bras portent les hermines de Bretagne et les lis de France. On y a gravé cette inscription :


Marquis de la Rouerie,
30 janvier 1793.
Le mal qui l’emporta fut sa fidélité.

Et, me guidant dans ce tragique décor, va, vient, appuyée sur sa canne, alerte encore, la vénérable fille de Casimir de la Guyomarais, presque un témoin oculaire, jeune pourtant par la netteté de son admirable mémoire, et par l’ardeur de son ressentiment contre l’homme qui s’institua le bourreau de tous les siens. Depuis près de quatre-vingts ans, elle vit dans cette solitude, se remémorant sans cesse la douloureuse histoire. Assise près de la cheminée de son salon, dans une large bergère, sous le portrait du marquis, — jamais elle ne dit autrement, — avec sa douillette