Dans le vieux collège où, jadis, j’ai fait connaissance avec Lhomond et Cornélius Nepos, il n’y avait qu’une seule salle de travail, et sous la surveillance d’un seul maître d’études. C’était une salle en demi-cercle, assez vaste pour contenir cent cinquante élèves ; et trois groupes distincts y travaillaient en commun, les grands, les moyens, et les petits, trois groupes qui n’avaient d’occasion de se voir que là, étant séparés aux heures de classe comme aux quarts d’heure de récréation. Aussi ne nous connaissions-nous guère, d’un groupe à l’autre. A peine si les plus délurés des « petits », après des semaines de cohabitation, savaient les noms de quelques-uns des « grands » les plus fameux pour leur science ou leur indépendance. Mais le maître d’études, lui, savait tous nos noms. Grands, petits, moyens, il nous connaissait tous ; et sans cesse il nous le prouvait en associant, par exemple, un rhétoricien barbu et un gamin de huitième dans une même distribution de pensums ou de retenues. Avec une égale sûreté, du haut de sa chaire, il répandait les punitions à tous les coins de la vaste salle. Et je me rappelle que je ne me lassais point d’admirer cette prodigieuse mémoire, si aisée et si sûre, capable d’emmagasiner, à la fois, une telle variété de noms et de visages.
C’est un sentiment analogue que m’a plus tard inspiré, et que m’inspire aujourd’hui encore M. Georges Brandes, l’éminent critique danois. Non que je méconnaisse ses précieuses qualités de professeur, de vulgarisateur, et de polémiste : je ne crois pas que personne sache, mieux que lui, résumer en quelques pages la matière d’un livre, ni nous rendre faciles les sujets les plus difficiles, ni déguiser un parti pris sous de belles apparences d’impartialité. Mais, avec tout cela, je