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la ressource d’entremêler sans cesse à l’analyse les renseignemens biographiques ; mais pour Shakspeare les renseignemens biographiques, comme l’on sait, n’abondent guère, et le nombre de ses pièces dépasse quarante, si l’on compte les pièces écrites en collaboration, les douteuses, et les apocryphes, dont M. Brandes nous parle comme des autres !

Ce n’est là toutefois qu’une première impression. Car si chacun des chapitres, vu du dehors, ressemble trop aux quatre-vingts autres, chacun d’eux est cependant si clair, si instructif, si rempli de faits et d’idées, qu’on ne peut manquer d’y prendre plaisir. Réunies en un seul volume, les notices consacrées par M. Paul Mesnard aux comédies de Molière ne resteraient pas moins d’excellentes notices. Et pareillement les notices consacrées par M. Brandes aux pièces de Shakspeare. Dates de la rédaction et de la représentation, variantes des éditions successives, analyses de l’intrigue et des caractères : tout cela s’y trouve, et l’on y trouve même jusqu’à des observations sur le style, énoncées par l’auteur avec autant d’assurance que si l’anglais était « sa langue maternelle ». Je ne crois pas que de ce que, depuis trois siècles, on a écrit sur Shakspeare, rien ait échappé à l’infatigable érudition de M. Brandes. Les critiques anglais lui reprochent bien de paraître ignorer les commentaires de Hazlitt et de Charles Lamb, et assurément il aurait bien dû en faire mention quelquefois, au lieu de ne citer jamais que les jugements d’un M. Arthur Symons : mais s’il ne les cite point, c’est qu’il n’aime guère à citer ; et maintes fois il fait voir qu’il les a lus aussi. Il a lu tous les commentaires, toutes les biographies, toutes les critiques : et la faute n’est pas à lui si, par exemple, sur deux ou trois points essentiels, des découvertes récentes ont été faites en Angleterre qui réduisent à néant ses affirmations. Tout ce qui a été écrit sur Shakspeare jusqu’au moment où il a entrepris de s’en occuper, il a tout lu ; et le résumé qu’il en a fait est presque toujours très heureux. « Son livre n’est point écrit pour nous, et convient mieux à la latitude de Copenhague qu’à celle de Londres, » disent encore les critiques anglais. Sans doute : mais la latitude de Paris est, à ce point de vue, plus proche de celle de Copenhague que de celle de Londres ; et j’ai trouvé, pour ma part, dans la compilation de M. Brandes, mille renseignemens que j’aurais été fort en peine d’aller chercher dans les livres anglais d’où il les a tirés.

Quant à dire s’il s’en est tenu à une simple compilation, ou s’il y a joint en outre des trouvailles personnelles, c’est à quoi je saurais d’autant moins me risquer qu’il a presque entièrement omis les