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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/484

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montrée écrasante. Par une imprévoyance que nous ne voulons pas qualifier aujourd’hui, puisque nous avons affaire à un peuple malheureux, les moyens de défense de Cavité étaient insuffisans dans une proportion déplorable. Les coups portés par les Américains ne pouvaient même pas être rendus. La compétence technique nous manque pour apprécier les manœuvres des deux escadres, et nous ne sommes pas à même de dire si l’amiral Montojo a commis des fautes ou n’en a pas commis. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que le commodore Dewey a agi avec une audace et une rapidité qui donnent une haute idée de son caractère. Il est devenu du coup l’homme populaire, le héros des États-Unis. On a cru d’abord, et on a dit dans les journaux qu’il avait éprouvé de grandes pertes ; la vérité est qu’il n’en a éprouvé aucune. Il avait un armement supérieur à celui de son adversaire, il en a usé conformément aux droits de la guerre, et il est resté maître sans grand effort, ce qui ne veut pas dire que ce soit sans mérite, d’une situation qui lui assurera Manille après Cavité. Les Espagnols ont fait une fois de plus ce qu’ils font toujours en pareil cas, ils se sont battus avec le plus noble courage. Ils ont mieux aimé couler leurs navires que de les laisser tomber entre les mains de l’ennemi. Leur bravoure a été admirable. Mais ces qualités de race, si précieuses qu’elles soient, ne suffisent pas dans la guerre moderne, qui ne saurait se passer d’une longue et patiente préparation. Or, de préparation, il n’y en avait absolument aucune dans la rade de Manille, et on n’y supplée pas par une improvisation héroïque lorsque l’heure du destin vient à sonner.

Ce début, ce triste début d’une guerre qu’elle avait tout fait pour éviter, a causé à l’Espagne une douleur très vive. En quelques heures une escadre a été perdue, et toutes ses possessions dans le Pacifique sont exposées à tomber sous la main du commodore Dewey. On parle bien, à la vérité, d’envoyer des renforts à l’amiral Montojo, mais où les prendre, et ne sont-ils pas tout aussi nécessaires ailleurs ? L’Espagne aurait grand besoin que ses affaires se relevassent du côté de Cuba. Si la fortune la favorise, sa situation militaire pourra encore être rétablie ; mais tous ses amis doivent trembler pour elle. Nous n’avons à lui donner qu’un conseil : c’est d’éviter, quoi qu’il arrive, une révolution intérieure. Le moment serait très inopportun pour s’y livrer. Le changement du ministère n’est même pas désirable ; à plus forte raison celui de l’institution fondamentale du pays. Quel reproche peut-on adresser à M. Sagasta ? Certes, il n’a pas voulu la guerre, et il a fait, en vue d’y échapper, toutes les concessions qui étaient compatibles