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brusquement emparé du trône, les Anglais intimèrent à l’usurpateur, dans la soirée du 26 août, l’ordre de baisser le lendemain avant neuf heures son pavillon hissé sur le palais, sans quoi le bombardement commencerait. Encore le feu ne fut-il ouvert qu’après un second ultimatum, adressé le 27 à sept heures et demie du matin. Le consensus gentium est donc établi sur ce point, et nous nous figurons que, si le jeune empereur d’Allemagne avait à se prononcer, l’Allemagne prendrait aujourd’hui le parti le plus conforme aux intérêts de l’humanité. Si la place consent à se rendre, pourquoi ne pas la mettre à même d’éviter cette pluie de bombes et d’obus ? En tout cas, il faut laisser le temps d’abriter les femmes, les enfans, les malades et les blessés.

Ce qu’on reproche le plus volontiers aux jurisconsultes, c’est de ne pas s’accorder entre eux. Quels hommes ! dit parfois le public : quand on leur demande un avis, ils offrent le plus souvent trois ou quatre solutions ; les géomètres ou les chimistes ne nous laissent pas ainsi l’embarras du choix. Hélas ! aucune des sciences morales n’échappe à ce reproche ; a-t-on jamais vu, depuis le commencement du monde, les philosophes, les moralistes, les politiques se mettre d’accord ? Encore l’invention des codes, complétée par celle des tribunaux de cassation, a-t-elle, dans la sphère du droit civil, du droit commercial, du droit pénal, fixé beaucoup d’opinions et dissipé beaucoup d’incertitudes. Cela posé, j’avoue humblement que le droit international est toujours en voie de formation. Les puissances civilisées posent assurément, de temps à autre certaines règles, le lecteur a pu s’en convaincre ; mais avec quelle lenteur ! On comprend cette lenteur, puisque aucun pouvoir supérieur ne peut légiférer et puisque aucune juridiction commune ne peut juger. Il y a cependant, sur la surface du globe, une poignée de gens : publicistes, jurisconsultes, hommes d’Etat, qui travaillent avec une grande patience à l’ « unification » du droit international. Il faut les remercier de leurs efforts, souhaiter leur succès et, pour l’accélérer, dégager avec toute la vigueur possible les principes de justice universelle sur lesquels l’entente devra s’établir.


ARTHUR DESJARDINS.