ses ennemis lorsqu’il disparut. Le mot est dur, mais si on lui donne toute sa valeur, il devient équitable et laisse encore à Stein un certain caractère représentatif. Oui, un baron, et rien de moins ! Pour parler plus exactement, il a été un des derniers de ces « chevaliers d’Empire », qui, dans un rayon de quelques kilomètres, exerçaient une patriarcale souveraineté. La pauvreté les obligeait à chercher fortune hors de ces étroites limites. Comme ses ancêtres louaient leur épée, le baron de Stein loua son intelligence à un souverain ; il fut un condottiere administratif. Il a servi le roi de Prusse ; il a failli servir l’empereur de Russie ; il n’a peut-être pas été bien éloigné de servir Napoléon, qui avait, apparemment, ses raisons pour l’imposer à Frédéric-Guillaume et, s’il est beau, pour un Allemand, d’avoir trahi la confiance de Napoléon, il est moins glorieux de l’avoir méritée. Stein a eu, certainement, conscience qu’il y avait une patrie allemande, mais ce n’est pas là l’idée dominante de sa vie politique. Avant tout, il a été l’homme de la contre-révolution. Emanciper le peuple des campagnes, puisqu’il le fallait absolument, mais unir indissolublement les intérêts de la petite propriété à ceux de la grande dans une ligue conservatrice ; moderniser un peu un système par trop médiéval par quelques emprunts à la constitution anglaise, qui était, après tout, un gouvernement de propriétaires ; une réforme administrative, financière, municipale, militaire, tant qu’on voudrait, mais point de réforme générale ; des libertés, mais pas de liberté ; surtout, pas d’égalité, pas de « droits de l’homme » ni de révolution française : voilà pour l’idéal politique. Comme homme, c’est le plus incommode des collègues et le plus hautain des serviteurs. Il unit le despotisme du chef de bureau à celui du seigneur féodal. Roi de village, il traite d’égal à égal avec le roi qui a vingt millions de sujets, en se disant qu’il a derrière lui au moins autant de siècles de souveraineté. Peu de choses l’émeuvent, rien ne l’entame, il est comme le roc qui a donné son nom à sa famille. Tel me semble avoir été le baron de Stein. Il est intéressant comme le dernier échantillon complet d’une race finie, mais ce n’est pas tout à fait le genre de héros auquel on souhaiterait de consacrer trois volumes de cinq cents pages et dix ans de sa vie.
Seeley savait tout cela d’avance. Il n’éprouva point une déception analogue à celle du pauvre Carlyle, qui était au désespoir d’avoir commencé la vie du grand Frédéric. D’abord, il avait du