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la nation a pris conscience de ses forces et de sa destinée. Avant de faire l’Empire britannique, il fallait faire le peuple britannique et, du jour où ce peuple existe, l’Empire est fait.

Pour n’avoir pas été formulée, l’objection n’en était pas moins prévue. L’Expansion coloniale de l’Angleterre et la Formation de la politique britannique sont une réponse en trois volumes à cette objection. Pour comprendre toute la pensée de Seeley, il faut suivre l’ordre des temps et lire la Formation de la politique britannique avant d’aborder l’Expansion de l’Angleterre, quoique la seconde ait été composée avant la première. Il faut aussi se rappeler que Seeley est un professeur, même quand il ne professe pas. Un des deux ouvrages est intitulé « Essai historique » ; l’autre est une « Série de leçons ». Mais, bien que l’un suive à peu près l’ordre narratif et que l’autre se conforme plutôt à l’ordre analytique, c’est toujours le professeur qui parle, et la méthode didactique diffère autant de la méthode artistique que de la méthode philosophique. L’homme qui enseigne a pour devoir de répéter la même idée, en lui essayant toutes les formes différentes, jusqu’à ce qu’il rencontre celle qui la fera pénétrer dans les têtes dures de Cambridge et d’ailleurs. C’est à nous à choisir, de toutes ces expressions, colle qui nous paraît la plus rigoureuse, la plus claire, celle qui met le mieux en lumière la théorie proposée sur l’évolution historique.

Je crois mutile d’analyser longuement la Formation de la politique britannique : Cet ouvrage, dès qu’il parut en anglais, a été ici, même[1], l’objet d’appréciations magistrales que les lecteurs de la Revue n’ont pas oubliées et qu’ils auront profit à relire. Le livre, il faut le reconnaître, n’offre pas le même attrait à l’étudiant de la politique et ne s’empare pas de son esprit avec la même autorité que l’Expansion coloniale. On y sent un labeur immense accompli à un moment de la vie de l’auteur où ses forces l’abandonnaient définitivement. Nous le voyons, par instans, impuissant à ranger et à mouvoir cette énorme multitude de faits qui se révoltent contre son joug. Dans l’Expansion coloniale, il écrit l’histoire à vol d’oiseau. Vus de cette hauteur, la personne et l’accident s’effacent, l’acteur humain est un point immobile. On descend et il paraît bien qu’il se meut. Il semble une fourmi qui rampe sur le sol. On descend encore : la fourmi

  1. Voyez, dans la Revue du 1er février 1896, l’étude de G. Valbert.