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personnifie deux grandes forces, le mouvement puritain et l’esprit militaire. Il est le chef d’une nation armée, ce qui détermine les allures belliqueuses de son gouvernement, car, lorsqu’une nation est armée, il faut qu’elle se serve de ses armes. Cela dit, quand on observe les événemens de tout près, il faut tenir compte du tempérament d’Olivier et des circonstances toutes particulières où il s’est trouvé. Guillaume III est encore plus gênant. Celui-là n’est pas un « homme représentatif » ; c’est un isolé, un précurseur. L’opinion publique ne le porte pas ; elle le boude, elle le taquine, elle l’ignore : c’est la pire forme de l’impopularité. Parmi ses contemporains, personne ne le soutient ; seul, peut-être, ce pauvre diable de Daniel Defoe, et il est mis au pilori pour sa peine. Guillaume rapporte aux Anglais leur tradition nationale et ils le regardent comme un étranger ; il inaugure la période des guerres d’où doit sortir la grandeur commerciale du pays et les Anglais l’accusent de ruiner leur commerce.

Ainsi, la méthode anti-individualiste de Seeley se trouve trois fois en échec, et dans les trois grands momens de son histoire. Il le sent : de là une incertitude dans le traitement qui laisse une confusion pénible dans l’esprit du lecteur.

Il n’avait rencontré devant lui aucun de ces obstacles en esquissant, à grands traits, l’histoire de l’expansion coloniale, parce que c’est une œuvre collective, presque anonyme, et surtout, — c’est le point sur lequel je veux insister, — une œuvre plus qu’à demi inconsciente.

Comme Seeley a énuméré les chances de Napoléon, il énumère les chances de l’Angleterre, c’est-à-dire toutes les raisons de sa grandeur où elle n’est pour rien. La première, c’est la découverte de l’Amérique. Elle n’a point à revendiquer cette découverte, ou, si Sébastien Cabot peut réclamer quelque chose de la gloire de Colomb, cette gloire est, pour lui et pour sa patrie d’adoption, absolument stérile. L’Angleterre était au bout du vieux monde ; elle est maintenant au centre du monde nouveau, tout en gardant sa situation insulaire, qui lui laisse toute liberté d’action et lui permet, si elle le juge à propos, de se tenir à l’écart des guerres continentales où se sont épuisées les forces des Habsbourgs et des Bourbons. A la fin du XVIe siècle, elle n’a encore ni marine, ni colonies, ni industrie, ni commerce, et sa population est inférieure à celle de la Belgique actuelle. Elle n’est donc pas née avec le génie colonisateur ; elle n’est donc pas née