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Parties intégrantes de l’État, elles peuvent réclamer la même liberté, la même dignité dont jouissent les autres provinces. Exposées par leur situation à des dangers que la métropole ne connaît pas, elles doivent être encore mieux armées et mieux protégées. Ainsi le demande l’Impérialisme.

Cette question de la séparation possible, on peut se la poser à propos de l’Inde. L’Inde n’est pas une colonie, mais une dépendance. Des trois conditions indiquées plus haut, une seule la rattache, et la rattache faiblement à l’Angleterre : c’est la communauté d’intérêts. Donc, c’est une question à débattre, une question toute pratique, une question de chiffres. Les risques et les charges de l’empire Indien dépassent-ils les profits ? L’auteur de l’Expansion coloniale ne le pense pas, mais la proportion peut varier comme celle des gains et des pertes dans les bilans successifs d’une entreprise industrielle, de façon à justifier une liquidation. Invoquera-t-on le droit des nations à se gouverner elles-mêmes ? Mais l’Inde n’est pas une nation : ce n’est qu’une expression géographique. Elle est aussi incapable, aujourd’hui, de régler ses destinées qu’au moment de la conquête. Vous parlez de la rendre à elle-même, mais elle ne s’est jamais appartenue et l’Angleterre, lorsqu’elle l’a prise, l’a trouvée sous le joug étranger. Voilà bien la thèse anglaise, mais ce qui est moins britannique, c’est l’aveu suivant. De toutes les grandes œuvres que l’Angleterre a accomplies dans le monde, l’établissement de son empire Indien a été la moins consciente. « Dans l’Inde, elle voulait une chose, elle en a fait une autre. » On admire comme des spectacles presque surnaturels ces victoires d’une poignée d’hommes sur des foules innombrables. Tout cela, fantasmagorie et légende ! Ce sont les Indiens qui ont conquis l’Inde pour les Anglais. C’est encore un mérite que d’avoir su découvrir ces deux choses : 1° que les armées indigènes ne valent rien ; 2° que, pris individuellement, les indigènes sont susceptibles de former d’excellens soldats. Mais ce mérite, Seeley ne le laisse pas à ses compatriotes, et c’est aux Français qu’il le restitue. Et en effet, c’est nous qui avons inventé le cipaye.


IV

Récapitulons maintenant. Les principaux facteurs de la grandeur anglaise, si nous éliminons, avec le professeur Seeley, tout