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consciemment ou non, les liens multiples et mystérieux qui rattachent l’art à la vie, et suit, avec curiosité, dans le miroir que nous présentent les artistes, les évolutions et les altérations de la vie sociale contemporaine, il y a quelque chose de mieux à faire que le catalogue, la description ou le palmarès des expositions : c’est de tenter d’en dégager l’enseignement esthétique, la constatation des mouvemens de l’âme créatrice dans les œuvres, et des impressions de l’âme observatrice dans la foule.

Tandis que les journalistes, gardiens jaloux des routines qu’ils n’ont pas dénoncées, s’attardent aux Salons , — tels que de grands écrivains eurent raison de les concevoir en d’autres temps, mais tels qu’on ne peut plus espérer les rééditer, à notre époque, — qu’il nous soit donc permis de rompre totalement avec ces formes et ces habitudes surannées. Qu’il nous soit permis de nous attacher simplement à l’étude de quelques-unes des questions esthétiques soulevées par ce que nous voyons au Champ-de-Mars, et de taire par conséquent toutes les œuvres, même les œuvres les plus magistrales, — comme la Vie de la mer de M. Cottet ou les Reflets de cuivres de M. Bail, — sans rapport avec les problèmes que l’actualité impose à notre attention.

Parmi ces problèmes, il faut choisir. Ce n’est pas une question seule qui se trouve soulevée, quand on erre sous le vitrage de la Galerie des Machines : ce sont toutes les questions esthétiques. Jamais il n’y a eu moins d’ensemble dans le mouvement des arts, jamais moins de cohésion dans les efforts. Il n’y a pas un mouvement nouveau : il y en a mille, se contredisant, rayonnant dans tous les sens. L’art moderne est comme une cité où l’on travaillerait à commencer des routes dans toutes les directions et où l’on n’aurait sur aucun point assez de monde pour en finir une seule qui mène quelque part. Chacun travaille de son côté, plus jaloux de donner son nom à une voie nouvelle, que de continuer l’œuvre commencée par un autre. On ne voit partout que des amorces… Tout le monde est « chef d’école », mais il n’y a plus d’école ; on dit à tout venant : « Maître », mais personne ne se constitue disciple. Cela est si vrai qu’il n’y a même pas une conception, si vague soit-elle, commune à tous les membres d’un Salon et différente de celle du Salon rival. Il était généralement entendu que l’Art de la Société nationale, ou Salon du Champ-de-Mars, était plus moderniste que celui de la Société des artistes français ou Salon des Champs-Elysées. Mais qu’y a-t-il de