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à des camarades de brasserie qu’il soupçonnait impuissans à le confondre par des souvenirs personnels. Plus d’un quart de siècle s’est écoulé et non seulement M. Maxence et bien d’autres nous montrent des anges, mais tout ce que la Tétralogie compte de mythes fabuleux a envahi nos expositions comme celles du Sâr Peladan, déborde sur les plinthes, couvre les livres, les meubles, et va s’installer jusque dans les brasseries où le Réalisme avait imprudemment annoncé leur disparition.

Disparaîtraient-ils, en effet, ils seraient remplacés non par le Réalisme, mais par quelque autre forme de légende comme est la préhistoire de M. Cormon, de M. Jamin ou, en sculpture, de M. Frémiet. Et le goût changeât-il dix fois plus, nous aurions encore besoin, pour nous reposer des réalités, de quelques images de l’inconnu. Le succès des panneaux de M. Cormon le prouve. Car, si l’on n’a jamais vu de séraphins, qui a vu les hommes que nous montre M. Cormon ? et si l’on n’est pas bien sûr que les couleurs de Fra Angelico aient été broyées par un ange, l’est-on beaucoup davantage que les silex de l’époque tertiaire aient été taillés par l’anthropopithèque ou l’homosimien ? On ne l’est pas, mais on aime à se représenter, par l’imagination, ce qu’ont été les commencemens de l’art et de la vie. On aime à se les figurer fabuleusement humbles, comme on aimait jadis à se les figurer fabuleusement grandioses. C’est là le seul changement survenu dans les âmes. Jadis, lorsqu’elle était plus près de ses origines, l’humanité croyait descendre des Dieux. Tant qu’elle combattait encore pour conquérir la terre, le fer, l’or, ce qui nourrit, ce qui protège, ce qui embellit, elle était soutenue dans sa lutte par l’idée qu’elle était fille du ciel. Elle se le faisait répéter par ses poètes, qui n’étaient autre chose que des généalogistes. Elle n’en était pas bien sûre ; mais cette hypothèse lui donnait confiance dans le combat encore bien incertain pour la domination du monde et des animaux… Au contraire, à mesure que l’humanité triomphe et vieillit, elle se retourne vers les témoignages de ses humbles origines. Elle regarde le silex taillé et le celt en cuivre comme l’industriel enrichi regarde les sabots dans lesquels il vint à Paris faire sa fortune. En voyant d’où elle est partie et où elle est arrivée, elle a un mouvement d’orgueil. Pour lui raconter le chemin parcouru, elle évêque les témoins de ses premiers pas. Elle a chassé ceux qui lui fabriquaient de faux papiers de noblesse. Les anthropologues ont remplacé les poètes. L’homme