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point appropriées à notre tempérament. « On peut prédire sans témérité, dit-il, qu’en Angleterre, dans vingt ans d’ici, la Couronne n’aura perdu aucune de ses prérogatives et que l’administration locale aura subi de sérieuses modifications ; mais qui oserait prédire que, dans le même laps de temps la France aura réformé ou aboli son système communal ? Et qui oserait affirmer que le pouvoir exécutif y sera encore représenté par le Président d’une République parlementaire ? »

— « Français, nous dit-il en substance, conservez précieusement tout ce que vous tenez de Napoléon Ier. Cet homme d’un incomparable génie vous connaissait si bien ! Il avait une notion si nette de votre tempérament, de votre caractère, de vos instincts, de vos besoins ! Il vous avait fait un habit sur mesure. La centralisation administrative, telle qu’il l’entendait, est exactement ce qu’il vous faut et sert de correctif aux vices de votre gouvernement. Cela est si vrai qu’un étranger, qui ne lit pas les journaux, peut passer des années chez vous sans se douter que vous êtes mal gouvernés. Débarrassez-vous à jamais de vos pseudo-libertés parlementaires, et vous aurez tout à souhait, il ne manquera rien à votre bonheur. Vous avez parfois des idées bien étranges ; vous avez emprunté ses institutions à l’Angleterre et vous avez fait alliance avec la Russie ; c’était agir au rebours du bon sens : vous auriez dû vous allier aux Anglais et emprunter aux Russes leur régime autocratique. »

M. Bodley, quoiqu’il nous aime, se moque quelquefois de nous ; ce sont des libertés permises entre amis. Il sait très bien que nos besoins sont plus compliqués, que notre caractère est plus complexe qu’il ne le dit, que nous ne supportons pas longtemps les gouvernemens autoritaires, que, pour remonter sur le trône en 1815, Napoléon Ier dut nous octroyer l’Acte additionnel, qu’après nous avoir tenu la bride haute et courte, Napoléon III, bon gré mal gré, a fini par nous la mettre sur le cou. M. Bodley nous fait l’honneur de nous considérer comme un des peuples les plus intéressans de l’univers, et il s’indigne que nous puissions nous accommoder d’un régime au-dessous du médiocre.

Il nous pousse aux changemens, aux aventures ; il pense que nous sommes nés pour donner au monde de grands spectacles, pour l’étonner par l’audace de nos hasardeuses expériences, par nos coups de théâtre. M. Rodley est un ami dangereux. On ne peut nier que la démocratie parlementaire, comme toute autre forme de gouvernement, n’ait ses inconvéniens et ses vices ; mais il est encore plus certain que le pire des gouvernemens est celui que Platon appelait « la théâtrocratie ». Plaise au ciel que nous n’en tâtions plus ! Nous sommes payés pour cela.