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fille de fille, est chanteuse dans un « beuglant » de Saint-Étienne. Elle « se toque » d’un voyageur de commerce qui traverse la ville, un nommé Dufresne, et l’allume de son déshabillage et de ses frôlemens ; et c’est le premier acte. — Au second, Zaza et Dufresne se possèdent avec frénésie. Zaza a « sacqué » ses anciens amans ; elle est « toute changée », — comme Marguerite Gautier, — car tel est l’effet des grandes passions. Mais elle n’est pas sans inquiétude : Dufresne est souvent appelé à Paris pour ses affaires et sera prochainement obligé de partir pour l’Amérique. Là-dessus Cascart, camarade et ancien amant de Zaza, pas jaloux, mais sensé, dit à la bonne fille : « Ma fille, tu perds ton avenir. Dufresne n’est pas riche, et puis il a un ménage à Paris. » Zaza répond : « J’y vais. » Et elle y va. Elle tombe chez Dufresne et y trouve, en l’absence de madame, une petite fille de huit ans qu’elle fait bavarder. Elle constate, avec fureur et attendrissement à la fois, que Dufresne est bon mari et bon père ; sent malgré elle que le vrai bonheur de son amant est là, qu’elle ne peut pas lutter contre « la Famille », et s’en va comme elle était venue. De retour à Saint-Étienne, elle laisse échapper, dans une conversation avec son amant, le secret de son voyage à Paris ; comprend, à la colère de Dufresne, que c’est, au fond, sa femme qu’il aime ; éclate en imprécations forcenées, et le chasse. — Cinq ou six ans après, Zaza est devenue une étoile de café-concert de la plus haute distinction, de celles qui portent l’esprit français à travers le monde, qui ont les appointemens de vingt généraux de division, qui envoient des lettres aux journaux et qui ont des opinions sur la littérature. Attiré par la vedette de l’affiche, Dufresne l’attend, un soir, à sa sortie des Ambassadeurs. Il ne serait pas fâché de s’offrir l’étoile en exploitant les anciens souvenirs : mais, douce et grave, un peu solennelle et faisant paraître dans ses discours la hautaine mélancolie d’une âme supérieure, la grue arrivée lui explique qu’il y a des souvenirs si poétiques, si frais, si « ailes de papillon » qu’il ne faut pas commettre ce sacrilège de les dévelouter.

Bref, Zaza, c’est la sempiternelle histoire de la courtisane amoureuse, une variation de plus sur le thème de Manon Lescaut, de la Dame aux Camélias et de Sapho (avec un dénouement « philosophique », à l’instar d’Amans). Mais Manon parlait une langue décente et jolie ; Marguerite ne redoutait pas l’élégance du style, une élégance aujourd’hui un peu surannée ; et Sapho s’exprimait, en général, comme une fille intelligente qui s’est frottée à des écrivains et à des artistes. Pour Zaza, ce n’est plus « courtisane amoureuse » qu’il faudrait dire, mais quelque chose comme « gigolette échauffée ».