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Te Deum. Plus riche de substance musicale que le Stabat, il est aussi plus composé. L’intonation liturgique, exposée d’abord, puis reprise, y crée un motif central d’où l’ensemble procède et dépend, sans rigueur, mais non sans unité. Intéressans bien que sommaires, les développemens du thème suffisent à relier entre elles des pages très pleines, très solides, de celles que le président de Brosses appelait « les endroits forts ». Cette force n’éclate pas dans le Te Deum, comme dans le Stabat, dès le début. Elle se prépare et s’accumule d’abord. Une psalmodie à mi-voix commence par rallier de proche en proche tous les élémens sonores ; elle invite les anges, les archanges, les chérubins et les séraphins, toutes les puissances de l’univers à former peu à peu l’innombrable assemblée d’où jaillit soudain un triple et formidable Sanctus. Il y a beaucoup de grandeur en cette antithèse ; un charme plus uni dans l’épisode qui suit. Aux sonorités massives, aux grasses et riches tonalités, d’autres succèdent, plus sobres et plus légères. Les « bois » seuls, très doux, très fins, un peu mystiques, redisent le thème du plain-chant, ingénieusement transformé. Partagées en groupes symétriques, les voix à l’unisson perlent des gammes pures, je dirais presque blanches, et, comme de célestes théories, que figure leur marche lente, ces gammes s’opposent et se répondent, se nouent et surtout se dénouent avec une grâce divine. La sérénité, l’ingénuité de ces cantilènes est exquise, et, pour une fois, ici, par le sentiment et par le style, la musique est comparable à la peinture des primitifs italiens.

Après les tendres effusions, voici des retours de force, des appels si unanimes à la miséricorde et à la bénédiction, qu’ils sont vraiment ceux d’un peuple, d’une multitude. Verdi sait alors élargir la phrase musicale, en accroître, en enfler les sonorités à la mesure de la commune prière, du recours universel, et, si grandioses que soient les mots du texte : Salvum fac populum ou Benedic hæreditati tuæ, la courbe mélodique est assez vaste pour les envelopper.

Le Te Deum ne rend pas seulement grâces : à la fin, il demande grâce aussi. Il implore, il conjure et il détourne. Ce n’est pas la moins belle partie de l’œuvre, ni la moins originale, que cette fin qui supplie, avec effroi d’abord, puis avec espérance. « Dignare, Domine… Daignez, Seigneur, nous garder sans péché en ce jour, et ayez pitié de nous. » Pour implorer cette faveur dernière, les voix s’unissent et se massent. Elles se font austères et pour ainsi dire obscures. Sur une basse morne et rythmée un peu en marche funèbre, elles posent lourdement une antienne sombre, de couleur grégorienne, où luit çà et là