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et si cette idée manqua, si elle dut attendre ensuite des siècles, la raison en est dans la constitution de l’esprit grec, artiste et trop rationaliste, qui fut toujours préoccupé d’expliquer encore plus que de constater. Telle fut cependant la supériorité des Hellènes que, même sur ce dernier point, ils furent bien en avance sur tous les autres peuples : il s’en est fallu de peu qu’ils n’aient créé la méthode expérimentale des modernes.


V

Les Grecs de nos jours se considèrent, au point de vue de la race, comme les descendans des anciens Hellènes. Ce point a été fortement contesté, surtout par Fallmerayer. En 1851, à l’époque de la génération qui suivit son affranchissement, la Grèce proprement dite contenait environ un million d’habitans, et ce million, dont il fallait encore déduire 200 000 Albanais reconnus et 50 000 Valaques, représentait le résidu des plus complets bouleversemens dont l’histoire puisse nous donner des exemples. L’ancienne Hellade se composait de cités entourées d’un petit district rural ; dans les guerres sans nombre qui désolèrent ce pays, le vainqueur triait tous les hommes en état de combattre, puis « vendait les femmes et enfans comme esclaves. » C’est la formule bien connue qui revient sans cesse dans les récits des historiens. La civilisation antique étant essentiellement urbaine, les citoyens, qui étaient en même temps des propriétaires ruraux, périssaient avec la cité[1]. Philippe extermine les Phocidiens, Alexandre les Thébains ; les Athéniens sont déportés en masse. Délos étant devenue le grand marché d’esclaves, les Romains, après la prise de Carthage et celle de Corinthe, en amènent jusqu’à 100 000 à la fois ; les simples trafiquans en conduisent parfois jusqu’à 10 000, qu’on vend en un seul jour. Les pirates et les usuriers romains se livrent, sur les côtes de la mer Égée, à une véritable « chasse à l’homme ». Plus tard, on voit la plus grande partie de la population qui restait émigrer à Rome pour y chercher fortune, et ce courant dure des siècles. Plus tard encore, Goths et Hérules incendient Sparte, Argos, Corinthe, pillent Athènes, égorgent ou emmènent en masse la population. Puis viennent les Visigoths d’Acarie, qui détruisent presque toutes les villes, massacrent les

  1. Voir M. A. Berthelot, dans la Grande Encyclopédie, art. Grèce.