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communes, distinction un peu subtile qui ne trompera personne. M. Chamberlain n’a pas hésité à accuser la Russie de mauvaise foi. Parlant de la manière dont cette puissance s’est établie à Port-Arthur et à Ta-lien-Wan : « Sur la façon, a-t-il dit, dont elle a opéré cette occupation, sur les représentations qui lui ont été adressées et qu’elle a repoussées, sur les promesses qu’elle a faites et qu’elle a violées quelques jours après, je n’ai rien à dire, si ce n’est à citer le proverbe : — Celui qui soupe avec le diable doit avoir une longue cuiller. » Et, un peu plus loin, faisant allusion aux arrangemens de prudence que l’Angleterre aurait pu conclure avec la Russie : « A quoi bon, s’est-il écrié, et qui nous aurait assuré que les engagemens pris auraient été tenus ? » Certes, la Russie aurait été en droit de se plaindre de ce langage et de demander des explications. Elle ne parait pas l’avoir fait, ni avoir la pensée de le faire, et sans doute elle a raison : il y a des choses qu’il vaut mieux négliger et laisser tomber. Elle ne pourrait d’ailleurs que s’adresser à lord Salisbury, chef du Foreign Office, et probablement celui-ci lui ferait la même réponse qu’à lord Kimberley, qui l’interrogeait sur le même discours, à savoir qu’il aurait besoin avant tout d’en avoir sous les yeux un texte authentique, d’en causer avec son collègue, et d’y réfléchir un temps suffisant.

En somme, lord Salisbury adopte la version qu’un discours que M. Chamberlain n’a pas prononcé comme ministre ne tire pas à conséquence, et que rien ne l’oblige même à le lire. Mais, s’il lui est permis de l’ignorer, il est permis aux autres de voir dans cette abstention un désaveu indirect. Lord Salisbury n’accepte aucune solidarité avec l’orateur de Birmingham ; cela remet les choses au point. La première nouvelle du discours avait produit en Europe une assez vive impression. On se demandait s’il y avait là l’inauguration d’une politique nouvelle, et certaines puissances au moins auraient eu alors à s’en préoccuper. Mais l’indifférence de la Russie, l’ignorance affectée de lord Salisbury, enfin les commentaires de la presse anglaise elle-même qui, après le premier moment de surprise, a été la première à manifester une médiocre approbation, tous ces symptômes réunis ont ramené l’incident à ses proportions normales. M. Chamberlain avait parlé en son nom personnel et il n’était suivi par personne. On n’a pas tardé à se rassurer. Toutefois, il convient d’apporter aussi quelque mesure dans cette sécurité. M. Chamberlain, bien qu’il ait fait peut-être un pas de clerc, n’en reste pas moins le représentant attitré d’une partie de l’opinion anglaise, et d’une partie qui n’est pas en voie de décroissance. Pour qu’un homme politique d’une aussi haute