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dira si elle a été finalement plus utile ou plus nuisible à son pays ; elle a été, incontestablement, nuisible à son parti ; mais il y avait en lui un je ne sais quoi de généreux et d’humain qui le rendait digne de sympathie et de respect, même lorsqu’on ne pouvait pas le suivre dans toutes les évolutions de son esprit. Il a eu des défaillances, il a subi des entraînemens, il s’est souvent exposé à la critique : malgré tout, l’Angleterre était fière de lui, et la conscience universelle lui a rendu hommage. Il ne sera pas remplacé de sitôt. Il faut beaucoup d’années et des circonstances longtemps favorables pour dresser dans un pays une aussi haute figure que la sienne. Il était le dernier anneau d’une chaîne de grands politiques qui paraît être malheureusement interrompue. La légende même s’était attachée à sa personne et l’avait consacrée. Il était le grand vieillard devant lequel tout le monde s’inclinait. Il représentait seul les générations d’autrefois : il en était le dernier témoin. Ce n’est pas dans cette chronique que nous pouvons raconter sa longue existence, ni même en rappeler les traits principaux ; mais on ne peut pas non plus laisser disparaître un pareil homme sans le saluer une dernière fois. Avec lui, quelque chose prend fin dans l’histoire d’Angleterre, quelque chose de traditionnel et de respectable, que l’on ne retrouve plus dans un monde profondément renouvelé. Depuis quelques années déjà, son âge et sa santé l’avaient condamné à la retraite, et il n’exerçait plus d’influence sur les destinées de son pays. Ce peu de temps a suffi pour amener autour de lui une grande révolution morale : il n’a pas dit ce qu’il en pensait. Au reste, il ne connaissait pas le découragement. Il avait la foi, la passion, l’éloquence, et il croyait qu’avec cela on transporte les montagnes. Son tort est de l’avoir quelquefois essayé.


FRANCIS CHARMES.

Le Directeur-gérant, F. BRUNETIERE.