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divisions, de troubles, de calamités. « Il en est temps encore, abjurez un projet dont l’exécution causerait tant de malheurs. Je ne vous demande pas d’approuver encore l’invariable résolution que je vous ai déclarée ; le temps, les réflexions vous y amèneront, et les derniers momens de ma vie, enveloppés aujourd’hui d’un nuage si sombre, pourront voir encore quelques beaux jours. »

Accablé d’abord sous le coup de cette lettre si vraiment royale, Monsieur l’a communiquée à ses amis ; elle les a exaspérés. Leur attitude contre le ministère, contre Decazes surtout, est devenue plus malveillante, plus haineuse. Soutenu par le Roi, le ministère est resté sur ses positions, sans dévier de la ligne qu’il suit. Mais la division du parti royaliste afflige Richelieu et Lainé autant qu’elle les inquiète. N’est-ce point chose lamentable qu’un abîme se soit creusé entre la couronne et la fraction du parti royaliste dans laquelle se trouvent ses défenseurs naturels, les compagnons des princes au temps de la proscription et de l’exil, ceux dont le dévouement soutint et consola leur longue infortune ? Si, par quelques concessions, on pouvait les ramener au Roi ? Des concessions ! Lesquelles ? demande Decazes. En est-il d’assez étendues pour les satisfaire ? Leurs exigences ne sont-elles pas insatiables ? Ce qu’ils veulent, ce n’est pas seulement une part dans le gouvernement, la part à laquelle ont droit, dans un pays libre, les opinions qu’ils représentent ; c’est le gouvernement tout entier ; c’est dans l’armée, dans l’administration, dans la magistrature, le pouvoir de mesurer l’avancement non à l’éclat des services, mais à l’ardeur du royalisme. Ce qu’ils veulent, sans oser en faire l’aveu, c’est l’écrasement de l’œuvre révolutionnaire et la reconstitution de l’antique édifice qu’elle a mis en ruines.

Sans doute, dans les deux Chambres, sur les bancs de l’extrême droite, il y a des pairs et des députés susceptibles, malgré tout, de remplir un rôle de modérateurs. Tels Chateaubriand et Villèle, pour ne citer que les deux plus connus. Mais, quelles que soient leurs intentions, rien ne les distingue de leurs amis politiques ; rien, si ce n’est le talent qu’ils dépensent au profit de la pire des causes. C’est bien la partie de l’extrême droite que joue Chateaubriand dans le Conservateur. Quant à Villèle, il est, à la tribune comme dans ses entrevues avec les ministres, le porte-parole des ultras, bien loin de se douter que, dix ans plus tard, ministre lui-même, il deviendra à son tour leur victime. En 1818,