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Aix-la-Chapelle, il lui communiquait familièrement ses observations touchant les incidens de la politique intérieure, au courant desquels Decazes ne négligeait pas de le tenir. Ces observations reflètent les dissentimens qui s’élevaient peu à peu entre les ministres, à la faveur des incidens exposés ci-dessus.

C’était à propos de la Garde royale que ces dissentimens s’accentuaient avec le plus de vivacité, quoique sous des formes modérées et courtoises : Decazes et Gouvion-Saint-Cyr estimant « qu’un corps d’élite de 21 000 hommes sur une armée de 100 000 était bien suffisant, sans compter que la Garde royale coûtait le double » ; Richelieu s’obstinant à réclamer l’augmentation de cet effectif et s’irritant peu à peu contre le maréchal qui s’entêtait à le refuser, — irritation exclusivement épistolaire, semble-t-il, car, à en croire Decazes, « le duc de Richelieu avait laissé passer toutes les mesures prises contre la Garde sans faire au maréchal d : objection en face, et ne s’en plaignait qu’après. »

Le président du Conseil était arrivé à Aix-la-Chapelle dans les derniers jours de septembre, un peu inquiet du poids et de l’étendue de la tâche qui l’attendait au Congrès, convaincu qu’en se compliquant, les difficultés qu’il avait laissées à Paris lui rendraient cette tâche plus ardue, et qu’en se dénouant heureusement, elles la lui faciliteraient. C’est animé de cette conviction que, dès le 29, c’est-à-dire au débotté, il écrit à Decazes :

« J’ai oublié de vous dire combien j’attacherais de prix à ce que les régimens de la Garde royale fussent augmentés de 200 hommes chacun, ce qui leur donnerait plus de consistance et leur ferait voir de la part du gouvernement une bienveillance qu’il est nécessaire de leur inspirer après la secousse que nous leur avons donnée. Les raisons du Maréchal contre cette mesure sont détestables. Les régimens vont faire le service des grandes garnisons ; ils en font un très utile à Paris, à Rouen, à Orléans, et l’augmentation que je propose sera moins chère que celle des légions, puisque l’équipement et l’habillement sont prêts pour un complet de 2 100 hommes. Si vous ne pouviez pas obtenir directement du Maréchal qu’il consentît à cette augmentation, le Roi pourrait lui en dire un mot. Je vous assure que cela est nécessaire, si l’on ne veut pas que la Garde croie qu’on veut sa prochaine destruction. Il serait utile que cette augmentation fût prise dans les légions. »

Mais Richelieu prêchait dans le désert. Le maréchal Gouvion-Saint-Cyr tenait à ses idées, qu’il savait conformes à celles de