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semble un accapareur et par conséquent un ennemi. En bien des districts, ce n’est pas seulement l’exportation, c’est aussi le commerce local des céréales qui est formellement proscrit. Lorsqu’on le tolère, il est resserré par tant de barrières, alourdi par tant d’entraves, qu’il ne rend aucun service.

Bien qu’on ne pût vraiment citer un texte de loi là-dessus, depuis Charlemagne, il n’était pas permis d’acheter les fruits de la terre avant leur maturité, et tous contrats faits au mépris de cet usage étaient nuls. Défense de traiter de la vente des blés non battus, à plus forte raison, des blés en vert. L’achat des blés en vert était, devant les tribunaux ecclésiastiques de jadis, assimilé à l’usure ; il fut prohibé encore par une loi de la Convention, et ce n’est que depuis huit ans, qu’ont été abrogées, par le Code rural, les dispositions anciennes qui punissaient cette opération. Une fois récolté et engrangé, le blé n’était pas affranchi pour cela de la tutelle inquiète du législateur, qui le suivait d’un œil soupçonneux dans tous les greniers où il séjournait. Lors des chertés excessives du XVIe siècle, la crainte des spéculateurs avait fait prendre des mesures draconiennes contre ceux qui semblaient immobiliser à leur profit plus de grains qu’il ne convenait : « défense de garder chez soi du blé pendant plus de deux ans, si ce n’est pour sa provision », permission aux municipalités et aux officiers de justice de faire ouvrir les greniers privés et de prescrire la vente des blés qui s’y trouvaient, « à prix compétent et raisonnable ». Des mesures aussi exorbitantes, se produisant au moment où la marchandise déjà faisait défaut, avaient bien entendu pour effet de paralyser encore davantage sa distribution et d’activer la disette.

Un moyen plus raisonnable employé par certaines grandes villes, pour parer à la famine ou en atténuer du moins les rigueurs, consistait à faire elles-mêmes le commerce des grains dans l’intérêt de leurs habitans, en constituant, dans les années d’abondance, d’énormes réserves qu’elles écoulaient dans les années de cherté. Ce procédé antique, renouvelé du roi Pharaon, dont l’industrie indépendante se charge de nos jours, fut employé pendant de longs siècles par les cités riches d’Italie et d’Allemagne. Pour se procurer les fonds nécessaires, les mairies au besoin empruntaient. Charles-Quint donnait, en 1527, tout pouvoir aux échevins de Lille de « créer des rentes à vie ou autres », afin d’acheter des grains, « vu que les blés n’arrivent pas bien