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Balzac a été toute sa vie hanté par le mirage des grandes opérations financières qui devaient l’enrichir du jour au lendemain ; il rêvait d’entreprises colossales ; on ne peut dire qu’il ait manqué ni d’énergie, ni de patience. Il méritait d’être « particulariste ». Néanmoins la tare originelle se retrouve dans son œuvre. Il emprunte à la langue du xvi" siècle son impudeur pour écrire ses Contes drolatiques colligés es abbayes de Touraine. Sa verve est exubérante et grossière ; il a une gaité et parfois une philosophie de commis voyageur. La vie humaine lui apparaît sous les couleurs d’une comédie, et, si l’on veut, d’une farce, le plus souvent odieuse. Ses types les plus fameux témoignent d’une estime médiocre pour l’humanité ; même on reprocherait sans injustice à Vautrin et à Gaudissart qu’ils manquent de distinction… Si je n’insiste pas, c’est que le sujet est vaste, et qu’on se fait scrupule de l’étrangler en quelques lignes.

Je me suis efforcé de suivre dans ses déductions rigoureuses le travail de M. Demolins, et d’indiquer quel genre de profit on réaliserait pour l’histoire littéraire, en lui appliquant le bénéfice des plus récentes découvertes de la science sociale. Quelle sera notre conclusion ? J’en aperçois deux entre lesquelles je laisse le choix au lecteur. — Ou bien M. Demolins se trompe. L’assurance avec laquelle il annonce l’évangile des économistes a, en elle-même, quelque chose qui n’est pas scientifique. Les collections de faits, qu’il pare d’étiquettes imposantes, n’ont pas force de loi. Les principes justes qui lui servent de point de départ, précisément parce qu’il les pousse à bout, deviennent faux. On peut, quoique propriétaire d’un carré de vigne, être bon fils, et ne pas abandonner son père, quoique Tourangeau. Parce qu’on appartient à la classe des petites gens, ce n’est pas une raison suffisante pour qu’on soit, de ce chef, condamné à n’avoir qu’un petit esprit. Ces petites gens, pour qui l’économie politique professe un mépris si hautain, ont passé jusqu’ici pour être en France la meilleure et plus sûre réserve d’énergie patiente, de bon sens et de sagesse. Refuser à notre pays tout entier, dans son présent et dans son passé, l’esprit d’initiative et l’aptitude aux grandes entreprises, c’est faire preuve d’ignorance, sinon de parti pris. Car il faut le rappeler, puisqu’on travaille à nous le faire oublier, ce pays de petite culture est tout de même, dans l’histoire de l’humanité, celui où les sentimens de générosité, de désintéressement et d’enthousiasme idéaliste ont poussé les racines les plus profondes et jeté les frondaisons les plus magnifiques. Pour ce qui est de l’histoire littéraire, il n’y a pas de manuel à l’usage des enfans où l’on ne mette les écoliers en garde contre une étroite application de la