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américains, — pour ne pas dire les plus new-yorkais, — de la littérature américaine d’à présent. New-yorkais, il l’est essentiellement, profondément, complètement, comme certains de nos auteurs étaient parisiens, au temps où Paris avait encore un caractère et une vie propres. Aucun de ses confrères ne connaît autant que lui les aspects, les mœurs, les paysages, les sentimens et la langue de New-York ; ses romans et ses contes sont, à ce point de vue, de véritables documens, plus instructifs que toutes les descriptions des voyageurs ou des sociologues : et avec leur mélange de réalisme et de sentimentalité, avec leur style un peu sec et leur ironie un peu lourde, ce sont en outre de parfaits spécimens d’un tour d’esprit particulier, aussi différent que possible de l’esprit anglais. L’Histoire d’une Histoire, les Vignettes du Manhattan, toute son œuvre de conteur et d’auteur dramatique porte, très clairement marqué, le cachet de son pays. Et l’on comprend que, d’instinct, il ait été conduit à apprécier surtout, dans les ouvrages de ses compatriotes, ce qu’il y découvrait de local ou de national, ce qui correspondait à sa façon personnelle de sentir et de penser. Sa critique est du reste toujours ingénieuse, et, autant que nous en pouvons juger, presque toujours exacte : et sans nul doute elle exprime l’opinion de la majorité de ses compatriotes, puisque, à peine publié, son petit manuel d’histoire de la littérature américaine est devenu, aux États-Unis, un ouvrage classique. Mais rien ne fait mieux voir à quel point, quoi qu’il en dise, la littérature américaine d’à présent se distingue de celle de naguère, qui n’était nationale qu’à son insu, par la force des choses, tandis que son intention était de se rattacher simplement à la littérature anglaise, comme les littératures belge et suisse, par exemple, se rattachent aujourd’hui encore à la littérature française, ou la littérature autrichienne à la littérature allemande.


Je viens précisément de relire, pour m’en assurer, un gros livre qui, lui aussi, est resté longtemps une œuvre classique, l’Histoire de la Littérature américaine de l’Anglais John Nichol[1]. C’est un monument de science, de conscience, de probité littéraire, et les Américains ne sauraient se plaindre que justice n’y soit pas rendue à leurs grands écrivains. M. Brander Matthews lui-même ne parle pas en termes plus enthousiastes que ne l’a fait Nichol de Hawthorne, de Poe, de Longfellow, voire d’Henry Thoreau et de Mrs. Beecher Stowe. Mais tout en admirant ces auteurs, pas un moment Nichol n’a eu l’idée de les considérer

  1. American Literature, an historical sketch, par J. Nichol, 1 vol. in-8o ; Londres, 1882.