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parler avec respect de l’Angleterre et des mœurs anglaises : mais « c’était un Américain trop accentué pour subir le prestige de l’arrangement aristocratique de la société anglaise » ; et toujours il s’est félicité « d’être né dans une société libre de traditions féodales ». Franklin et lui sont « les Américains types ». — « A eux deux, ils nous donnent les deux aspects du caractère américain : Franklin représente le sens du réel, Emerson le goût de l’idéal. Franklin est la prose de la vie américaine ; Emerson en est la poésie. »

Nathaniel Hawthorne était « intensément Américain » ; toutes ses qualités réunies font de lui le plus « national » des écrivains qu’ont produits les États-Unis. Longfellow a rehaussé infiniment le charme de son Evangéline en donnant pour décor à son récit « le paysage naturel de l’Amérique, avec la variété de ses saisons. »

« Longfellow, dit en résumé M. Brander Matthews, s’était assimilé la culture de tous les pays ; mais cela ne l’a pas empêché d’entendre toujours la voix de son pays. Il a pensé que le meilleur de ce que l’Europe avait produit était à peine assez bon pour la jeune Amérique. Et c’était un vrai Américain, non seulement par son solide patriotisme aux heures de l’épreuve, mais par la manière dont il a toujours accepté la doctrine de l’égalité humaine, ainsi que par sa foi et sa confiance dans l’humanité. » Encore sent-on, sous les éloges, qu’au cosmopolite Longfellow M. Brander Matthews préfère son rival Whittier, « qui a tenu à ne s’occuper jamais que des faits de la vie américaine, des pensées, des légendes, des paysages et des mœurs de la Nouvelle-Angleterre ». Moins « artiste » que Longfellow, — et aussi peu artiste que possible, hélas ! — Whittier était plus « Américain ». Et toute sa gloire lui est venue de là, de même qu’à Lowell, cet autre grand homme dont nous avons tant de peine, en Europe, à comprendre et à apprécier la grandeur. Tous deux, Whittier avec sa rudesse paysanne, Lowell avec sa verve un peu grossière et son prosaïsme, tous deux sont apparus à leurs compatriotes comme les représentans d’un art spécial, local, fait à leur usage propre indépendamment de toute influence étrangère. Aussi M. Brander Matthews n’admire-t-il personne autant qu’eux. « Lowell, dit-il, était le type du caractère dont nous avons le plus besoin dans notre vie publique américaine. C’était le type de l’Américain largement cultivé, mais ayant une intelligence solide de ses compatriotes, et le plus profond amour de son pays. » Et c’est au contraire avec une sévérité à peine mitigée de quelques éloges tout littéraires que M. Brander Matthews juge la vie et le caractère d’Edgar Allan Poe.