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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/964

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meilleure pour les Espagnols à Cuba ? L’amiral Cervera a eu l’habileté de tromper la vigilance des Américains, et il a pénétré dans la baie de Santiago. C’était fort bien d’y entrer, mais à la condition d’en sortir tout de suite, car on risquait de ne plus pouvoir le faire quelque vingt-quatre heures plus tard. La baie de Santiago est admirable ; seulement, on y pénètre et on en sort par un canal très étroit, et dès lors très facile à défendre, soit du côté de la rade, soit du côté de la pleine mer. Pendant que l’enthousiasme éclatait à Madrid et à Santiago, les Américains annonçaient, par une métaphore triviale, mais expressive, qu’ils allaient « mettre la flotte espagnole en bouteille ». Il leur suffisait pour cela de fermer le goulot. Une idée hardie et originale est venue à l’amiral Sampson, à savoir de couler un navire dans le canal, de manière à l’obstruer par une épave de gros calibre. L’idée a été exécutée, dit-on, avec un sang-froid auquel on ne saurait rendre un trop grand hommage. Quelques hommes, qui n’étaient même pas tous Américains, ont servi d’équipage au navire condamné, l’ont conduit au milieu de la passe, et l’ont coulé. C’est là un fait d’armes d’un genre tout à fait nouveau. Les Espagnols n’ont pourtant pas perdu courage. Ils ont annoncé que la passe n’était pas complètement bouchée, et que leurs navires pourraient encore y passer ; puis ils se sont mis à l’œuvre pour détruire l’épave au moyen de la dynamite. Mais, pendant ce temps, les Américains sont revenus à la charge et, sous le feu d’une artillerie supérieure, ils ont écrasé les fortifications espagnoles. Ils n’en resteront certainement pas là. L’opinion publique, à Madrid, a été vivement émue à la nouvelle de ces tristes événemens. On ne peut que plaindre l’Espagne. Sans doute elle a attiré la fatalité sur elle par sa mauvaise administration et sa mauvaise politique coloniales ; mais les convulsions qu’elle éprouve n’en sont pas moins douloureuses à voir. Il est à désirer que cette guerre inutile prenne fin le plus tôt possible. Il faut pour cela une grande résignation de la part de l’Espagne, et quelque générosité de celle des États-Unis.

Francis Charmes.
Le Directeur-gérant,
F. Brunetière.