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l’extension territoriale qu’il réussit à donner à la nouvelle colonie sans rien coûter à la métropole.

Dans la brousse africaine, comme dans les négociations en Europe, il se montra toujours le plus habile et le plus prévoyant des diplomates. Énigmatique pour les uns, naïf pour les autres, il sut tirer parti de toutes les situations et exploiter, au mieux de nos intérêts, les grandes incertitudes qui régnaient sur des régions à peine explorées et que les congrès prétendaient limiter par des méridiens géographiques ou par des cours d’eau dont on connaissait vaguement les confluens. C’est ainsi que la frontière est du Congo Français, arrêtée primitivement au 17e de longitude est (méridien de Greenwich) par la convention du 5 mai 1885, fut progressivement reculée de vingt-trois degrés vers l’est et atteignit le Nil. A l’ouest, il nous assura la possession de Koundé, marché important de l’Adamaoua, par un coup de maître qui mérite d’être rapporté. Des négociations se poursuivaient depuis des mois entre la France et l’Allemagne pour la délimitation du Kameroun et du Congo Français. Les plénipotentiaires, après de longues discussions soulevées par les prétentions réciproques des deux puissances sur les territoires de la haute Sanga, avaient admis comme limite commune le 15e de longitude est (méridien de Greenwich), quand, par un télégramme venu de Libreville, on apprit tout à coup que Brazza était établi à Koundé. Or Koundé, devenu français en vertu de l’article 34 de la conférence de Berlin, se trouvait être précisément à l’ouest du 15e de longitude. Les plénipotentiaires allemands, tout en reconnaissant nos droits, ne voulurent pas renoncer à leur méridien limite et se contentèrent de l’échancrer à hauteur de Koundé. Telle est l’explication de cette encoche bizarre que l’on remarque sur la limite du Congo Français et du Kameroun. « L’échancrure de Koundé, m’écrivit alors Brazza, c’est ma signature sur la carte d’Afrique. »

Il restait à mettre en valeur la colonie fondée par les découvertes de Brazza et si démesurément agrandie par son habileté diplomatique. C’est ici que se constate toute l’infériorité de la colonisation par voie administrative sur la colonisation par l’initiative privée ; la grande œuvre de Brazza devait rester presque stérile, tandis que l’entreprise de Stanley et de son auguste commanditaire, le roi Léopold, allait atteindre un merveilleux développement. On me permettra de ne pas faire la longue et triste énumération de nos fautes et de les présenter seulement dans une