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eu la mère pour gouvernante ; cette gamine promettait d’être très jolie ; on lui trouverait avec le temps quelque Sarmate. Elle passa dans le cortège en demi-place. » Cette gamine, dont une savante éducation fortifia les aptitudes naturelles, travailla elle-même activement à sa fortune ; le ciel l’aida, mais elle s’aida beaucoup. N’étant pas fille à se contenter du premier Sarmate venu, elle épousera l’un des plus grands et des plus riches seigneurs polonais, le prince Zamoyski, et après lui Jean Sobieski, lequel, depuis quelque temps déjà, était son patito. Elle lui avait dit : « Vivons contens dans la vertu. » Mais elle ne faisait pas toujours ce qu’elle disait et n’avait point attendu d’être veuve pour lui tout accorder. Grâce à lui, dix ans plus tard, elle sera reine de Pologne.

Marysienka eut toujours du bonheur ; elle en a encore après sa mort ; un grand homme lui donna un trône ; un spirituel et ingénieux historien l’a jugée assez intéressante pour écrire sa biographie complète et détaillée, fruit de longues et patientes recherches[1]. M. Waliszewski, qui est un maître en psychologie documentaire, a la religion du document, il n’en a pas la superstition. Les pédans lui reprocheront peut-être d’en user trop librement avec ceux qu’il a recueillis dans de poudreuses archives et dans les dossiers de Chantilly, « où il n’y a point de poussière ». Il nous en donne rarement le texte intégral, il le résume ; il casse l’os et en extrait la moelle. Il pose en principe que, comme la politique, comme la médecine, l’histoire est sans contredit une science, mais qu’elle est surtout un art, et cependant il nous inspire confiance, parce qu’il se défie beaucoup de lui-même et que, dans tous les cas douteux, il n’a garde de rien affirmer. « Envoyez dix porteurs de lunettes au Kamtchatka pour étudier une éclipse de soleil, ils vous reviendront avec dix observations identiques, à un quart de seconde et un dixième de millimètre près ; c’est avec cela qu’ils font de l’astronomie. Interrogez dix témoins d’un accident qui vient de mettre la rue en émoi : au troisième rapport, le cocher de fiacre qui a écrasé un piéton deviendra un vélocipédiste écrasé par un omnibus ; c’est avec cela que nous faisons de l’histoire. » M. Waliszewski en conclut que les témoignages les plus probans ne sont pas toujours des preuves, qu’en matière d’histoire, la certitude n’est le plus souvent qu’une extrême vraisemblance, une conjecture qui rend compte des faits.

Quelques peines qu’il ait prises pour se documenter, il n’est pas

  1. Marysienka, Marie de la Grange d’Arquien, reine de Pologne, femme de Sobieski, 1641-1716, par M. Waliszewski, 1898 ; librairie Plon.