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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/211

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triomphans succès ? Une fatalité pesait sur lui : au lendemain de la victoire, il en compromettait les résultats par ses négligences, par ses fautes ; il semblait dire : Après tout, que m’importe ? On avait cru voir en lui l’homme providentiel, le chef envoyé de Dieu pour sauver la Pologne de ses ennemis et d’elle-même. Il l’a laissée telle qu’il l’avait trouvée le jour de son couronnement. Il n’a pas tenté de mettre à profit sa renommée et l’autorité que lui donnait son génie de soldat pour réformer les institutions de son pays, pour corriger les vices, les abus inhérens à la royauté élective, pour supprimer le liberum veto, les tripots politiques, les honteux marchandages, le scandale des diètes d’élection, qui, selon l’expression irrévérencieuse du biographe de Marysienka, n’étaient « qu’un grand Guignol ». — « Brillamment inauguré, le règne de Jean III n’a, ni au dehors ni au dedans, tenu ses promesses. Au dehors les frontières perdues n’ont pas été reconquises ; au dedans l’anarchie n’a pas été conjurée. » Jamais d’éclatans exploits ne furent moins fructueux, jamais la gloire ne fut plus stérile. Sobieski est un grand homme qui n’a pas rempli sa destinée.

A qui la faute ? Quel fut le grand coupable dans cette affaire ? A qui doit-on imputer l’avortement d’une grande espérance et la faillite de Sobieski ? Les Polonais s’en prennent à Marysienka ; ils la rendent responsable de tout ; elle fut la Dalila de ce Samson et n’eut pas besoin de lui couper les cheveux pour le priver de sa force. De savantes machinations, favorisées par d’heureux hasards, l’avaient tirée de son néant ; mais son âme ne grandit pas avec sa fortune et elle n’eut jamais les sentimens et les pensées d’une reine, elle ne fut jusqu’à la fin que Marysienka, fille d’un intrigant qui, devenu cardinal, gardera à l’âge de quatre-vingt-dix ans « ses maîtresses, ses dettes et ses procès ». Indigne d’être la femme d’un Sobieski et ne pouvant s’élever jusqu’à lui, elle l’obligera de descendre jusqu’à elle, de sacrifier les nobles ambitions et les généreuses entreprises aux sordides calculs d’une brouillonne, qu’on accusait d’être sans cesse occupée « à gripper quelque chose ».

Après la mort de Samson, Dalila a bu sa honte. Ses anciens sujets lui témoignaient leur mépris ; les enfans la montraient du doigt dans les rues de Varsovie, ils s’écriaient : « Voyez la vieille intrigante ! » Elle dut quitter la Pologne, la place n’était plus tenable ; elle se réfugia à Rome, puis à Blois, où elle passa ses dernières années « sans nul éclat, écrivait Saint-Simon, et avec toute l’inconsidération qu’elle méritait. » Elle prenait facilement son parti de la mésestime qu’on lui marquait. « La déconsidération, a dit un illustre médecin grec, n’a